Dans le jardin d’un certain Zébazé Etienne dit "congolais"
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- Publié le mercredi 30 novembre 2011 20:30
Que ce soit à Douala, (quartiers Congo, Deido et Bépanda), à Yaoundé, (quartiers Carrière, Ndzong Melen et Tsinga), à Nkongsamba ou à Dschang, il se présentait invariablement à ceux qui ne le connaissaient pas en ces termes : "Mon nom s’appelle Zébazé Etienne Congolais"(sic).
Nous l’avions connu dans les années 70 quand nous étions élève au collège St-Laurent de Bafou. Avec son allure de bohème, le physique maigre et efflanqué d’ancien beau garçon mal nourri, un mégot de cigarette sur une oreille, ce précurseur de la musique moderne à Bafou déambulait avec sa guitare en bandoulière et sa canne de malvoyant au bout du bras pour tester la route avant d’y mettre le pied.
Un homme, une guitare ! Voila le portrait qu’on pourrait dresser en deux coups de crayon, de cet homme qui malheureusement nous a quittés tôt, beaucoup trop tôt sans avoir pu trouver parmi ses jeunes admirateurs que nous étions, un mécène qui aurait pu aider à améliorer et à immortaliser ses productions artistiques. On nous dit que les artistes, tout comme les poètes, ne sont pas de ce monde. Mais, Zébazé Etienne affectueusement appelé « Congolais » était bien de chez nous. Il connaissait notre village comme le fond de sa poche, il connaissait la Menoua et a passé le plus clair de son temps à célébrer ce qui faisait notre fierté, à décrier et à condamner avec vigueur certains travers de notre société qui, selon ses mots propres, "gaspillaient notre pays, le Cameroun".
Partout où il était, ses lieux de prédilection étaient les devantures de bars où il était sûr de trouver un public attendri et des oreilles attentives pour apprécier ses compositions. Après l’exécution de plusieurs morceaux, il s’arrêtait brutalement et disait à son public :"Mettez les piles ! Mettez les piles !"Quelques pièces glissées dans la caisse de résonnance de sa guitare lui permettaient de s’assurer son repas de midi. Au carrefour du collège Saint-Laurent, une main de bananes douces et un paquet de bâtons de manioc que nous appelions à l’époque les "chikouangues", (faute de mot plus approprié), faisaient l’affaire. L’homme béti appellerait cette nourriture "bobolo" et l’homme sawa, "miondo". Comme dessert, l’artiste s’octroyait quelques bouffées d’une cigarette dont il gardait le mégot sur …. l’oreille pour une consommation ultérieure.
Profitons du plateau offert par bafou.org pour faire un tour dans le jardin secret de ce musicien pluriel qui a fait la fierté des jeunes et des moins jeunes de mon village et d’ailleurs. Revisitons ensemble, le message qu’il nous a laissé comme héritage à travers la dizaine de morceaux dont nous nous souvenons encore dans son vaste répertoire.
01. Près de mon cœur, lointain de mes yeux. Dans un Français approximatif propre à lui seul, l’artiste invite sa bien-aimée à venir le retrouver dans sa maison samedi soir. "Je vous vois tout près de mon cœur, lointain de mes yeux". (sic) Tout un programme !
02. Hymne à la femme : (Rock bamiléké) Le chanteur dresse une longue liste de noms de femmes. A ces femmes, il demande d’où elles sortent. Elles répondent qu’elles étaient dans la salle de danse. Et comment dansiez-vous là-bas ? Danse voir Marie ! tourne-toi en dansant ! couche-toi en dansant ! Il s’en suit des onomatopées qui rythment les pas de danse et qui, dans la bouche du chanteur, remplacent les sons que pouvaient produire la batterie, la guitare solo, les claviers et le saxophone qu’il n’avait pas. "Tô’h mbeuh ! Tô’h mbeuh ! Tô’h mbeuh !" pour décrire les poitrines qui se touchent quand jeunes gens et jeunes filles dansent le rock bamiléké.
03. Mademoiselle, laisse-moi jouer ma vie. Dans cette chanson, épicurisme et stoïcisme du chanteur trouvent l’occasion de s’exprimer. La vie est belle et il faut en profiter. Le chanteur ne crache pas sur son bonheur quotidien. Il vit, mange, boit, chante, danse et fait tout dans la joie. Quand la mort viendra, il mourra aussi dans la joie. Il s’en ira ensuite chez le père céleste toujours dans la joie.
04. L’agriculture, c’est la richesse : L’artiste voudrait dire à tous que la terre ne trompe pas. Cette chanson est une invitation à s’engager dans le travail de la terre. Les mots Ndzi kouh’, E’tchi’h et A’tem utilisés par l’artiste signifient en langue Bafou, famine, disette, précarité. Ces maux ont un seul et unique remède : l’Agriculture. Il invite tous les camerounais à aller au champ pour débroussailler, cultiver et planter les cultures maraichères et vivrières, les arbres fruitiers et tout ce qui concourent à notre autosuffisance alimentaire. Une chanson qui célèbre la politique de la révolution verte des pouvoirs publics de l’époque et qui se termine par "l’Agriculture, c’est le trésor, l’Agriculture, c’est la richesse, l’Agriculture, c’est le bonheur !"
05. "Ndzui ka’afê", Femme mariée, épouse … du café : Dans cette chanson tirée malheureusement de la réalité quotidienne de nos campagnes, Congolais raconte l’histoire pathétique d’une jeune femme qui se rend compte qu’elle avait été épousée rien que pour s’occuper du café de son mari. Elles sont nombreuses dans la concession de ce goujat rien que pour le café. Leur mari ne pense qu’à la fortune qu’il pourrait tirer de son abondante récolte de café. Elle n’a pas d’huile, pas de sel. Elle ne peut pas faire d’enfant puisque son mari n’a pas de temps pour elle. La femme en veut à son père et à sa mère. Elle sent qu’ont l’avait trompé en l’envoyant en mariage ici. "Jio’ôh mekouh slupassi, Jio’ôh mekouh tennissi mouêh" ! Elle montre ses pieds qui pouvaient chausser des sandales, des pieds qui pouvaient chausser des tennis. Elle a lavé ses pieds mais où aura-t-elle jamais un jour des chaussures à y porter ? Quel triste sort pour elle ! la mélodie et les mots de cette chanson qu’il faut nécessairement écouter restituent à merveille le drame vécu à Bafou par ces dames esclaves de la glorieuse époque du café.
06. Dans le jardin : (Jerk camerounais). Etienne Congolais est un poète attendri, amoureux de la nature. Au milieu d’un jardin potager dont il admire les merveilles, le poète demande deux feuilles de salade pour se fabriquer un … chapeau. Il invite ensuite une demoiselle à le retrouver dans le jardin. Ensemble, ils apprécieront salade, persil, poireaux, radis, carottes, haricot vert, chou-fleur, etc…. Il se rapproche ensuite de la demoiselle et demande à être mis à côté des merveilles de sa poitrine à elle. Merveilles qu’il baptise d’un bien curieux nom : les "ventouses". Et dans sa fougue, l’artiste-poète déclame : "Mademoiselle, approche-moi près de tes ventouses, pour que je chauffe mon cœur ! Pique, pousse, mademoiselle ! Piquez, poussez-moi !" et dans son extase, il entre en transes et transforme la demoiselle en "sucre des garçons, viande sans os, couverture de laine, œuf d’arc-en ciel costaud et mince, ma pensée, ce que j’aime…". Quel langage imagé pour amoureux transi !
07. Oh! Saint-Laurent : Il s’agit ici d’un hymne à l’excellence du Collège Saint-Laurent de Bafou, 1er collège dans la Menoua. La renommée de cet établissement scolaire est allée au-delà des frontières nationales. Le mérite en revient à "l’abbé Thomas, le fondateur et l’abbé Louis, le continuateur". Le chanteur nous invite à y aller voir "de beaux garçons, et de belles filles, obéissants". "La discipline et le travail, toujours croissants". Il félicite le Directeur et les professeurs et encourage les collégiens à aller de l’avant. Hô ! Saint-Laurent, merveille d’antan qui a formé de hauts cadres et fabriqué de grandes têtes de ce pays dans presque tous les domaines mais qui, comme le déplore l’actuel curé, est pratiquement abandonné et se meurt tout doucement dans l’indifférence de tous.
08. Les femmes mariées : le chanteur dénonce les dérives comportementales des femmes mariées qui "diminuent" notre pays le Cameroun. A titre d’exemple, Madame Pierrot est sortie dans la nuit par la fenêtre, abandonnant "ses enfants qui vont à l’école sans manger, sans habiller, sans chaussures, ennemis de BATA. …Papa, maman, quel scandale dans la famille ". Et comme "conseils de mariage", il leur dit simplement : retournez dans vos maisons les femmes mariées !
09. Jeunes filles dévoyées : L’artiste tire à boulets rouges sur ces jeunes filles qui, envoyées pour s’instruire à l’école et ramener des diplômes, délaissent les bancs pour courir derrière le pain chargé et la sardine. Résultat, elles n’aident pas leurs mamans à la maison. Quand elles font la cuisine, on constate que la viande n’est pas cuite (E’tang mbap), que les condiments de la sauce jaune ne sont pas équilibrés (A’tsiah letsi’h). Elles vous disent qu’elles vont à l’école. De cette nouvelle école appelée "A’soukou chouhong-nguia", elles vous ramènent des grossesses ou "M’brévê meta’h". Quand c’est arrivé, l’artiste invite cependant la malheureuse à assumer son erreur et à éviter de prendre des comprimés pour avorter. "Ne prends pas cette "quinine", sinon, tu vas crever avec ton bébé qui sera peut-être un jour Ministre".
10. Rosa la frivole, au pied d’un caféier : "A’le tsing kafêh Rosa"! Le pourfendeur des femmes frivoles, des femmes infidèles et des filles légères se souvient que dans sa prime jeunesse, Rosa l’aimait et lui donnait un peu de tout ce qu’elle préparait. Mais devenue plus grande, Rosa ne l’aime plus et se donne, même n’importe où, à tous ceux qui l’accostent. Au pied d’un caféier, "A’le tsing kafêh", au pied d’un bambou raphia, "A’le tsing nkiah", Rosa ne se gêne plus et ses ébats font penser à une bagarre de serpents qui met tout un village en émoi. Quand les villageois alertés viennent avec machettes, haches, gourdins, lances et même un fusil, on constate que les amoureux se sont évaporés.
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Qui était "Congolais" ? Selon les informations recueillies ça et là, Zébazé Etienne était le fils du Notable Moho-Lefê à Bafou, zone géographique La’atsuet, non loin du campus annexe qui abritait le Petit Séminaire Saint Laurent. Très jeune, il s’est exilé au Congo Brazzaville où il s’est initié à la musique en fréquentant les cabarets. Ceci explique le sobriquet de "Congolais" qui lui a été donné à son retour au Cameroun. Il aurait épousé une jeune brazzavilloise qui lui a donné cinq enfants. Mais quand ses parents ont réclamé son retour au village et sont passés par un de ses frères, transporteurs par camion, pour le faire rentrer au Cameroun, son épouse et les cinq enfants ont refusé de le suivre. Très déçu par cette rupture qui lui a été imposée, Congolais s’est recroquevillé sur lui-même et a donné à sa vieille guitare, l’unique sens de sa vie. Ayant complètement perdu la vue, il perdra également la vie en faisant une chute mortelle dans un des nombreux ravins de la ville de Nkongsamba.
Pour réhabiliter la mémoire de ce brave fils de Bafou qui, à sa façon, a su porter les couleurs de son village ailleurs hors de la Menoua, nous avons, avec le peu d’éléments que nous avions à notre portée, tracé cette première page de l’étude de son œuvre artistique. Les internautes de bafou.org sont priés de bien vouloir nous apporter toute information qu’ils pourraient avoir sur le phénomène.
En attendant ces réactions, nous témoignons déjà notre sincère reconnaissance à Efo’o Djotsa Joseph, chef de la communauté Bafou de Yaoundé, à Maha Ohô Wamba Juliette à Yaoundé, à Moho-Léfê Manfozap Kana Gaston à Bafou, à Moho Léfê Vounang David à Yaoundé, à Moho Pihi’i Nguimkeng François à Edéa et à Tégni Dongkeng Charles Roger à Log-Bessou Douala qui nous ont donné les éléments ayant permis la rédaction de cet article, qui doit, disons-le tout de suite, être complété par des photos et autres éléments de la vie de Zébazé Etienne Congolais.-
Moho-Lekouet Donkeng Cosmas
le 23 novembre 2011 à Yaoundé
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