Les rites funéraires en voie d´individualisation en Allemagne : Quelles leçons pour la diaspora africaine?
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- Publié le mardi 1 mars 2011 11:15
L´être humain est un membre d’une famille, d´une communauté. Il est reçu au monde et encadré par la famille et les membres de sa communauté. C´est aussi dans les mains de cette communauté qu´il quitte le monde, laquelle se charge d’organiser les cérémonies funéraires. Ceci se traduit dans plusieurs cultures africaines, où les morts sont enterrés dans leur concession, par l’absence totale des cimetières communaux. Malgré de nombreuses mutations, le deuil reste une affaire communautaire dans laquelle la famille endeuillée est assistée par le reste de la communauté. Cette assistance se traduit d’abord par une présence physique au domicile de la famille endeuillée, à l’enterrement, à la neuvaine et plus tard aux funérailles. Grâce au caractère communautaire des cérémonies, la mort est toujours présente et fait partie intégrante de la vie quotidienne.
En Allemagne, le quotidien monotone et solitaire peut à priori faire croire à un Africain que la mort n´y existe pas, que les morts sont négligés et oubliés. Loin s´en faut, en Allemagne aussi, les «morts ne sont pas morts» (Birago Diop) car veuves et veufs, orphelins et orphelines, parents endeuillés se rendent régulièrement au cimetière pour poser les bouquets de fleurs sur les tombeaux de leurs biens aimés disparus. Des croix, des pierres tombales, des mausolées extravagants, des formes pittoresques des tombeaux reflètent souvent une certaine valorisation des disparus. On a l’impression que les cérémonies funéraires se passent dans un cadre très isolé et dans un calme absolu. Cependant, le voisinage est informé d´un cas de décès sans avoir besoin de le lire dans le journal et participe d´ailleurs à une quête pour la famille endeuillée (M. Otto TAUPADEL). Seulement les nouveaux voisins sont moins impliqués.
La présence des diasporas apporte-t-elle de changements sur les rites funéraires en Allemagne? Les communautés d´origine grecque, espagnole, italienne, russe… installées en Allemagne depuis des décennies laissent outre les pierres tombales ornées de symboles religieux différents et gravées en diverses langues, leurs traces sur les cultures de cimetière. Ainsi on note souvent sur les tombeaux des défunts d´origine espagnole la statue de la Vierge Marie.
Les longues veillées mortuaires et la présence massive aux enterrements des proches d´origine africaine ne vont pas sans conflit avec la société d´accueil. On peut se souvenir des plaintes des sœurs africaines qui ayant appris la mort de leur proche et organisé une veillée à domicile, ont reçu de visites inopinées de la police allemande, leur signifiant que loin de la compassion, il était nécessaire de pleurer à voix basse afin de ne pas troubler les voisins qui devraient se réveiller à quatre heures du matin pour aller travailler. On a bien l´impression qu’en Allemagne la tristesse du deuil est celle d´une structure familiale très limitée.
L´expérience migratoire et la distance posent aussi un défi aux communautés étrangères. Le décès d´un proche au pays d´accueil génère non seulement de l´angoisse mais aussi de soucis énormes concernant de l´argent nécessaire pour le rapatriement de corps au pays natal. Aussi, les migrants doivent prendre de décisions qui vont d´une assurance de rapatriement de corps à une éventuelle décision d´être enterré au pays d´accueil, loin de sa famille et de ses ancêtres.
Vous croisez régulièrement une dame âgée souriante sur votre chemin. Un jour vous remarquez son absence, mais sans y accorder une grande importance. Peut-être qu´elle a trépassé seul à l’hôpital, ou dans la solitude de ses quatre murs. Un service professionnel en uniforme grimpe les escaliers. Sans tambour ni trompette! Et c´est ainsi que vous ne croisez plus jamais la vieille dame souriante du dessus de votre étage. Selon les statistiques récentes, environ 840.000 personnes meurent en Allemagne par an; il y a environ 30.000 cimetières en Allemagne (Fichtner 2009). Dans l’hebdomadaire "Der Spiegel" du 28.12.2009 un article s´interroge sur la "mort du cimetière" en Allemagne. Une telle mort signifierait-elle la fin de la mort?
Le décès, l´enterrement et les obsèques sont réglés dans chaque société par des normes et les traditions qui de nos jours subissent de profondes mutations. Si l´enterrement classique reste plus ou moins répandu en Allemagne, on remarque de plus en plus la percée de nouvelles formes telles que l´enterrement dans la forêt, l´incinération, la transformation de la cendre du défunt en bijou diamanté, la dispersion de la cendre sur la mer, dans la forêt, sur la montagne. Aussi faut-il noter qu´à coté des mausolées familiaux onéreux et extravagants, on retrouve de plus en plus de tombeaux anonymes des "sans noms". «Le souvenir laisse de plus en plus la place à l´oubli», déplore M. Taupadel. De nouvelles formes, méthodes et cultures d´inhumation se développent ou s´imposent et prennent les dimensions de plus en plus individuelles comme ces parcelles de cimetières réservées aux femmes, aux membres d´une congrégation religieuse (exemple des cimetières musulmans avec les tombeaux orientés vers l´Orient), aux athéistes, aux fans d´un club de football.
Si les formes d´enterrement se diversifient et s´individualisent, il faut aussi noter les frais de cimetière situés entre 1000 et 3000 € selon la commune, les frais d´incinération entre 2000 à 12.000 € et l´enterrement anonyme à 690 € (Der Spiegel 28.12.2009, P. 53). Un coup d´œil sur la grille des prix d´un service de jardinage des cimetières à Siegen, MARKUS SUSAN FRIEDHOFSGÄRTNEREI, montre que l´entretien complet d´un tombeau coûte environ 220 € l´an, excepté les coûts des fleurs.
Il a été constaté qu´aujourd’hui en Allemagne du Nord et de l´Est, plus de la moitié des morts est enterrée de façon anonyme, sans pierre tombale, sans nom, sans souvenir, sans regret, «ni fleurs, ni couronnes» comme l´a si bien chanté Edith PIAF, mutatis mutandis, dans Les mômes de la cloche. Le taux croissant de ces tombeaux anonymes traduirait-il une vie passée dans l´anonymat et l´indifférence dans un monde caractérisée par l´individualisme? Comment expliquer un tel changement des mœurs? Comment expliquer le nombre croissant de cimetières des animaux alors que l´argument de manque de moyens financiers est avancé pour expliquer les crémations et les tombeaux anonymes?
Selon M. Taupadel, hormis le progrès scientifique, technique et l´avènement de l´Internet, on note un désintéressement face aux traditions et les gens expriment de plus en plus le souhait de ne pas constituer une charge pour leurs proches après la mort. Ce qui les pousse à choisir les formes d´enterrement les moins chères. Ceci refléterait-il l´esprit de la société allemande actuelle, où un service rendu gratuit au prochain est pris avec méfiance, le bénéficiaire ayant peur de devoir à son bienfaiteur? A ceci s´ajoute le facteur de la mobilité. Si autrefois les individus étaient plus ou moins sédentaires, de nos jours les conditions de travail exigent des travailleurs une mobilité qui n´est pas toujours facile à combiner avec une famille et les racines. C´est pourquoi certains préfèrent incinérer leurs morts pour garder la cendre dans l´urne ou la transformer en un bijou diamanté facile à transporter d´un lieu à un autre. Si au siècle de la mondialisation la peur de perdre son emploi exige à l´individu d´avoir les bagages toujours prêts (l´emploi pouvant être déplacé à tout moment), celui-ci risque d´avoir aussi ses souvenirs, ses morts prêts à se déplacer avec lui.
Une question fondamentale se pose : celle de l´orientation de l´individu dans la communauté ainsi que le rôle de la religion, des traditions et de l´institution dans la gestion de la mort. Dans une société où l´anonymat, l´indifférence et l´individualisme s´érigent de plus en plus en règle entre les humains, on arrive à l´institutionnalisation ou à la transposition de la compassion et de la chaleur sociale dans un cadre de services. Ce qui explique un grand nombre de personnes et d´institutions spécialisées qui gèrent les funérailles en sorte que les proches doivent simplement être présents à la cérémonie, comme s´ils étaient de simples spectateurs. Sans oublier la digitalisation du deuil qui se traduit par les sites internet offrant des tombeaux virtuels et de l´espace pour les familles endeuillées. Ces tombeaux étant cliquables aux quatre coins du monde, le Net s´évertue à créer une famille virtuelle pouvant relayer la chaleur et la compassion sociales recherchées en vain au quotidien.
La division du travail qu´exige la société moderne se fait beaucoup plus ressentir au niveau des cultures funéraires. A Münnerstadt, un cimetière pédagogique "Lehrfriedhof" forme le personnel des pompes funèbres (Bestatter) (Der Spiegel 28.12.2009, P. 52). Comme disait la politologue allemande Baringhorst, là où la culture meurt, émerge un musée pour fixer la mémoire. C´est ainsi que pour matérialiser et fixer ces mutations de la culture funéraire, un musée de la mort, d´enterrement et de deuil, bref de sépulture à Kassel expose en outre les cercueils multiformes et multicolores (formes de poisson, bateau, voiture...) en provenance du Ghana.
Selon Fichtner (2009), même si la gestion de la mort est devenue loin des tabous un thème social en Allemagne grâce aux enterrements médiatisés, elle prend des dimensions troublantes. Dans la société allemande où tout est réglé par les lois et jusqu’aux moindres détails, l´individu est arrivé à un point, où il devra chercher pendant les derniers moments de sa vie, loin de l´institution et des prestations de services, loin de la numérisation de l´affection, un retour aux mains de la famille et de l´entourage qui l´ont accueilli au monde et l´initié dans la vie. Certains spécialistes se penchent sur une possibilité de l´enterrement au jardin familial, sans prendre en considération la santé publique.
A un siècle où les sociétés africaines cherchent à donner une orientation au progrès et au changement social, ballotées entre le choix des réponses locales et des solutions exogènes, les sociétés industrialisées entre le modernisme, le postmodernisme et la "modernité réflexive" cherchent des repères pour rapprocher la science à la conscience, afin de retourner aux sources. L’Afrique voudra bien considérer ce qui se passe en Allemagne pour ne pas évoluer de la même façon dans la même impasse.
Bibliographie
Fichtner U. (2009): Bestattungskultur. Das Friedhofssterben, in: Der Spiegel Nr. 53 du 28 décembre 2009, P. 52
Loth H. (1988): Audienzen auf dem Schwarzen Kontinent. Union Verlag Berlin, 300 Seiten.
Taupadel O. (2011) : directeur du service d´entretien de tombeaux TAUPADEL à Siegen, entretien le 7. Février 2011.
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