Culte et rite du E’SI
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- Publié le lundi 20 août 2012 12:18
« E’si » signifie littéralement Dieu, ou en certaines circonstances, la terre. Le E’si est un culte pour honorer le Dieu créateur. Comme tout culte célébré, il y a des rites de circonstances. Pour bien comprendre, appréhender ce culte, les lecteurs de la Bible peuvent se référer au livre du Lévitique.
Le « Tefouegho », principal officiant est tel le Lévite du Lévitique de la Bible. La brebis sacrifiée est sans tâche, une prémice qui est sain, appartient au créateur tel que dit dans le Lévitique, telle l’offrande de l’Ancien Testament, telle la fête du mouton islamique ; le E’si tel qu’il se présente et est célébré est un culte ancien. Cet office religieux est un des traits de marque des Mboum qui leur rappelle leurs origines israéliennes de la tribu de Juda. Le E’si des Mboum-Bamiléké est un lien, une tradition millénaire qu’ils ont pu conserver de déportations en esclavages, de diaspora en pérégrinations. Ce trait fondamental juif a été préservé par le glaive divin de cette tradition. Il y a des cultes de E’si qui prennent une à deux semaines soit huit (08) jours ou quinze à seize jours.
Dès que le jour des cérémonies du E’si est fixé, le sel est empaqueté dans de petites boules en feuilles de bananier passées sur la flamme. On le distribue à toutes les « mégni » pour leur annoncer le jour –un bouotchou– Une bonne quantité est envoyée dans les sanctuaires de la région –Mé nguia’ssi– car les dieux sont garant de la bonne tenue ou non des cérémonies, on en donne aussi aux crânes des ancêtres (mânes). Le « Tefouègho » est contacté ; il lui est remis : sel, cauris ou argent, plantain, ndeuhdeuh (jujube) … Il est le maître de cérémonie.
Les différents acteurs ayant déjà le laisser faire, les autres membres de la communauté sont invités. A deux semaines du grand jour, les « mégni » se réunissent le bouotchoou qui marque le début des 15 jours de conclave, de concentration, de réveil-esprit : « a lé ning E’si nguiá ». Durant tout ce temps, le « fouhet », les « mé-tsia’a » se jouent. Les chansons rituelles sont exécutées. On nourrit à huis clos la « mégni » et les « po’o méfack ». ; Le « Nkiet » est mis à l’entrée de la case. Les non- initiés n’y passent plus. Mégni et po’o méfack sont ainsi en retraite spirituelle. Ils se concentrent, se préparent. « Megni ou Mégni_Nkeu » mère des jumeaux. « Nkiet » : barrière provisoire à la porte d’entrée de la case de « Megni » fait de lamelles de moelle de bambou tissées.
Dès le « Mbouokeu », jour qui précède le jour du E’si, les cérémonies commencent dans l’après midi, les mégni invitées viennent. On sacrifie la brebis « Lewèt fvouou » et on enchaîne avec la veillée de E’si (Tsou’h si). C’est en quelque sorte l’invocation des dieux ; l’initiation et la consécration des jumeaux. Cette nuit, le «Tefouègho» est là. Il écrase le « mélang », écrase le « pweu », prépare le « Ndouèt », apprête le « ndeuhdeuh » et tout ce qui est à utiliser. Il met le « fouo’si » sur le fronton des jumeaux et toute la maisonnée hôte ; les pots en terre cuite ou petits canaris des jumeaux« Mé Nkang » peuvent être embellis ou re-embellis, disons d’ailleurs décorés avec de la peinture fabriquée localement avec plusieurs poudres. « Mégni súi » est ointe avec de l’huile d’acôvre ou de la poudre d’acajou rouge (E’p’heuh) porte un collier spécial de perles (Akièt). Les initiés (jumeaux) doivent conserver tout ce qui est sur eux (sauf habits) jusqu'au lendemain. Les repas sont servis, les non initiés sont servis hors du Nkiét et dans les autres cases. Les Mégni (anciennes) et jumeaux déjà initiés sont servis à l’intérieur du Kiét. A minuit, la danse « Tsou’k E’si » est exécutée sous la direction du «Tefouègho». Dans la cour, toute personne peut entrer dans la danse. Le « Tefouègho » est devant, suivi de personnages spirituels de la famille qui précèdent Mégni et jumeaux, suivis à leur tour par la maisonnée hôte (frères et sœurs) et autres, il y a neuf chansons, à la 7e, le sel est partagé, une partie versée au sol, ainsi que l’eau et le vin. Après le « tsou’k si », les jumeaux et mégni accompagnés des initiés entrent dans le « kièt » par une marche arrière en chantant la 9e chanson (celle de bénédiction). Certaines mégni et autres personnes rentrent chez eux.
Le grand jour, « bouotchou » se réveille avec le « fouèt » de recueillement spirituel. Les différents mets sont apprêtés. Les premiers invités arrivent, on les dirige vers différents cases, lieux ou réceptions « Ntan’g » selon leurs hôtes. C’est dans l’après midi qu’a lieu la procession finale, à la fin de la soirée (15h - 16h). C’est le jour où la mégni súi doit faire sa première sortie publique avec ses po’o méfack. Les repas se servent à tout moment. « Tefouègho » écrase encore le « mélang », le « pweu », prépare le « Ndwèt », apprête le « ndeuhdeuh » et autres. La nouvelle mégni, les jumeaux et toute la famille boivent le « Ndwèt », prennent le « mélang » (ji’eu mélan), « mégni » prend une onction de « pweu », toute la famille prend le ndeuhdeuh, la terre prise chez les dieux est posée sur leur tête. Tout se passe à l’intérieur sous l’œil bienveillant de « Tefouègho ». Au moment d’apparaître en public, « Tefouègho » est en tête de la file. Le porteur du grand sac de raphia « nbe’é pa’ bo’c » le suit. Le chef de famille, les personnages spirituels de la famille, mégni, po’o méfack, la maisonnée suivie des mégni, les autres danseurs ferment la queue. Le premier chant annonce la sortie et c’est après avoir fait le tour complet qu’on l’arrête. Mégni et po’o mefack, toute la maisonnée s’il y a lieu portent une tenue d’apparat, tiennent le chasse-mouche en queue de cheval ou une branche d’arbre de paix « nkeung ». La Mégni porte en plus un sac à main traditionnel « Mboh » où se trouvent des cadeaux à distribuer. « Elle est source de bonheur, de bonté et elle a été choisie et honorée par les dieux ». Les feuilles de « Mbeu-mbeu » sont mises sur la tête des jumeaux « a nè do po’o méfack ». Les autres mégni tiennent une ou deux branches d’arbre de paix, les unes soufflent sur leur « fouèt », les autres secouent les « mé-tsia’a ». C’est surtout la cantatrice « a tou’E’si » qui secoue les « mé-tsia’a ». Une mégni entre temps pulvérise le sol avec le sel, une autre avec du vin raphia mis dans une calebasse. A la 3e ou 5e chanson mégni, po’o méfack, Tégni donnent leurs cadeaux « E’ma’a E’si ». A la 7e chanson « chik mé ya gouan’a », ou « non tong ngué mé té ya lé ? », le sel est partagé : c’est la chanson de l’offrande. Les autres membres hôtes peuvent aussi offrir des cadeaux « E’ma’a E’si ». Il y a neuf chansons qui sont ainsi réparties :
1e temps : chants d’entrée : louange et demande (1er, 2e et 3e cantiques).
2e temps : sortie de la case : chants de louange et de réception (4e, 5e, 6e cantiques).
3e temps : chant d’offrande, de distribution de sel et d’argent(le 7e cantique).
4e temps : chant de triomphe et de gloire(le 8e cantique).
5e temps : chant de remerciement et de grâce(le 9e cantique).
Chants rituels du E’si’
- Chants d’entrée : Louange – demande Traduction littérale
1 -
Refrain : Wou yio’ ha’ ! Wou yia’ eun yo !
Couplets : Wou yio te chouen we lé man’ha nou’ (Wou yio’! Que je vous dis un mystère)
Wou yio megni ton’oh loun’oh nkongni (Wou yio’ ! Mégni a appelé une réunion organisé d’amour !)
- 2 -
Refrain Wou yiohoho !
Couplets: ndem ngho jouo’h log ! (Dieu est l’être des plus distingués)
Bon gning Fomena dou’è (Le bon être est « FOMENA de la rivière »)
A loung jio’ loung ngang nkap è ! (Cette réunion est celle d’un riche è !)
N.B. Fomena = Chef des animaux, dieu du clan
- 3 -
Refrain : A lé la’ ndem me wouè (Seul il y a le jour de Dieu)
Hé Hé Hum-Hum è è !
Couplets : Yélélé bah !
Ndo weuk fomena ndouè è ! (Notre mari est « Fomena de la rivière »)
Melefack me ma’à E’sièè ! (C’est le jumeau qui fait l’offrande !)
- Sortie de la case : chants de louange et réception
4 -
Ho ho yié méfack ma’ah ! (Ho ho yié! Mes jumeaux …)
- 5 -
Euhm eum ! é wou wou’o ho !
(voix sourde)
- Réception
6 -
Refrain : Ho hia ! pèk lo’ méta’té sa’n nkap è è (Ho hia! Nous allons compter l’argent avec la natte)
Ho hia jio’ gho’ pa nkap è è (Ho hia ! Ceci n’est que le sac d’argent)
Couplets : Ho hia
Wouo’ a lé’hê Kédon’ bo lé’hê nto’o èè ! (Quand ça touche le plantain, ça concerne son support èè)
Distribution (sel – argent)
(Keű méya ngoua’n Wou non’oh ton’oh metéyalè ?) (Quitte on donne mon sel, tu crois qu’on n’allais pas donner ?)
7 -
Refrain : A lak ndem ! (merci Dieu)
Wo’o’ Ho’ ha yo ho ! a lak ndem
Couplet : A lak dem !......................................
8 -
- Chant de triomphe et de gloire : Dieu + homme = 1, fort
Haa Haa Hum ! Haa Hum Hum !
Refrain : O ya ha ha ! yé ya a à !
Couplets : Ndè noeun joú me kouèè(j’ai piétiné le malheur avec le pied, tout ce qui me concerne concerne Dieu)
Hie ya ha ha !
Alé’è`Koeundon bo’ lé’è toh (Quand ça touche le plantain ça concerne son support)
9 -
- Remerciements action de grâce
Refrain : Pè laptè ngon ndem ! (Apaisez le monde de Dieu !)
Couplets : Mégha Zhu’ mena douo
Ndaptè lo’ ndapte lo’ (Apaisez lo ! apaisez lo !)
Ndaptè zop ndaptè me’zop. (Apaisez par le chant ! apaisez par les chants…)
Ces chansons sont structurées ainsi : les trois premières chansons sont celles d’entrée de la procession, les trois du milieu, celles d’évocation, d’exhortation, de demande ; la 7e celle d’offrandes, la 8e celle de remerciement, de grâce ; la 9e celle de grâce et surtout de bénédiction « nti’i bwèneu » (piya’a meun dem è !). Elles sont exécutées durant le « Tsoug E’si » et le « E’si ». Après la danse, les initiés entrent dans le nkièt par derrière, Tégni se retire dans sa case. Quand tous entrent, on ferme la porte, enlève le nkièt. Mégni sort en courant, descend chez Tégni, arrache non sans bagarrer avec lui jusqu’à la véranda, un tison de bois à braise rouge, va chez elle avec cela, la porte est ouverte, les acclamations et douces invectives sont entendues : c’est comme si hommes et femmes se rivalisaient d’adresse. Tel Jupiter qui arrache la flamme des dieux pour libérer l’homme. Par ce signe Mégni Súi montre sa puissance (naturelle). C’est la fin des cérémonies. « Tefouegho » rentre avec bien de cadeaux. Le sel est encore donné aux sanctuaires pour remercier les dieux et les mânes pour leur bienveillance. Le Djiélah, Mégni se présente au marché telle une reine, bien parée.
a- Lewèt fvou’ou : La chèvre réservée pour la cérémonie ne doit pas être un bouc. Elle est égorgée dans l’après midi de « Mbouokeu ». On la passe au feu pour la dépouiller de ses poils. Ensuite on la découpe en morceaux nommément (en indiquant le sanctuaire bénéficiaire) ; c’est la bonne chair. Une bonne partie est frite à l’huile de palme pour l’assistance. Pour l’offrande aux dieux, la viande est rôtie sur les flammes avec du sel et on remet toujours aux sacrificateurs « wou’o woua’g ji’k » de ces sanctuaires. Ils y remettent une petite partie tout en disant pourquoi cette offrande ; la grande partie est partagée aux enfants et aux présents (fils de ce dieu). Les « Kutei », « a tou’ou » (terminal des pattes, intestins, metou’ou, (boyaux)) seront préparés à usage quotidien.
b- Téfouegho « Père spirituel du culte du sí » : Personnage principal de ce culte (si= Dieu) prêtre traditionnel. Avant, chaque famille avait un Téfouegho bien défini qui durait et suivait la famille où que son embranchement l’amenait. Aujourd’hui, c’est le voyant qui détermine la Téfouegho d’une maisonnée qui est choisi parmi les proches proposés. Si on se trompe de Tégouégho, la cérémonie sera recommencée, car dit-on, les dieux en imposent souvent. Il porte un sac traditionnel plus grand et large que celui de Mégni ; c’est un sac qui donne et reçoit. Dans ce sac a été enlevé tout ce qui a servi à la bénédiction et autres par conséquent, la famille hôte doit y mettre de cadeaux distingués. Chacun à son tour ; c’est par lui que commencent les offrandes « E’ma’a E’si » : « Le Neun’è pa’ bog ». Il prépare et dirige le E’si. Il est si influent dans la famille que rien ne peut s’y passer sans qu’il ne soit contacté : sorte de parrain spirituel. C’est un personnage moral de la communauté. C’est en ces jours qu’ils sont vulgarisés.
Les jumeaux ainsi initiés étaient les apôtres de la paix de leur contrée. Lors des guerres tribales, trop rudes, eux seuls pouvaient venir avec les bouquets d’arbre de paix (le dracaena) y mettre fin ; le statut qu’a la Croix Rouge de nos jours.
En marge de ce culte traditionnel qui initient les jumeaux (triplés ou plus), il y a d’autres cérémonies d’offrande dont les rites sont semblables au E’si ; mais l’officiant est tout autre que le Tefouegho. Ce dernier peut être la « Ndzui-E’si », le « Kem-E’si » qui sont plus voyants ou devins, soit par le prophète appelé ici « ndem », … Ce dernier a un nom dont le suffixe est le nom de sa contrée d’origine. Exemple : Ndem-Ndouh, Ndem-Medouh, … Le prophétisme a pris de sacrés coups avec la colonisation et est en cours d’extermination très poussé jusqu’à un hiatus de l’extinction.
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