Retour urgent à nos valeurs traditionnelles
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- Publié le lundi 20 août 2012 11:36
1er Arrêt sur image : Le danseur de mendzong sur la photo ci-contre porte, à son épaule gauche, le poulet du Tê-nguia’mendzong (ou capitaine) de sa classe d’âge.
Mais remarquez la tenue dont il s’est paré : le collier, le chapeau et le veston sont faits de jeunes fruits de bambou raphia appelés « Tchakoum » qui ont été séchés et enfilés comme des perles. La calebasse de vin raphia qu’il a au dos est retenue par une sorte de trousse fabriquée également avec des « tchakoum » enfilés.
Cette description nous amène à nous intéresser au bambou raphia « E’nkiah »et à dresser ci-dessous, une liste non exhaustive des diverses utilisations de cette plante miracle dont le Créateur nous a gratifiés.
La vie quotidienne, l’habitat et l’artisanat à Bafou sont en effet énormément tributaires du bambou raphia et aucune partie de cette plante n’est à négliger. En partant de ses feuilles « E’zang », nous devrions aller jusqu’au bois de chauffage constitué de ses tiges séchées « E’ndjoung », sans oublier sa sève, qui donne le vin de raphia « Melouh’ la’a » ou « Melouh’ nkia ».
- Les feuilles du raphia « E’zang » sont utilisées pour la fabrication des nattes destinées à couvrir les toitures. Ces nattes entrent aussi dans la décoration des espaces de détente dans nos grandes villes.
- La fibre extraite des feuilles fraiches de raphia, « E’ssuik », utilisée à l’état naturel ou préalablement teintée, occupe une place de choix dans le tissage des chapeaux, des sacs et des vêtements.
- Les nervures des feuilles « E’nguehô-zang » servent à la fabrication des balais.
- La tige du bambou, tout simplement appelé le bambou « E’ndeng », est un matériau de choix pour le paysan Bamiléké. Il entre dans la construction des maisons d’habitation (murs, charpentes, ouvertures, greniers et plafonds...) et dans la réalisation des enclos pour animaux domestiques (porcs, chèvres, poules), des clôtures de limitation et de protection des concessions ou des champs contre les animaux en divagation. Dans l’artisanat local, il sert à la fabrication du mobilier de maison : lits, bancs, chaises, tabourets, armoires, étagères « a’zih’ » pour ranger les ustensiles du ménage, greniers du plafond « A’tan’ha » pour le séchage des récoltes (maïs, arachides, bois de chauffage, etc...) ou greniers de derrière la cuisine « E’nkying » pour la conservation des récoltes (maïs, arachides, ignames, etc...). Le bambou sert également à la fabrication des échelles « E’kô’ôh » et des instruments de musique traditionnelle « leloung », « nkoua’h », « E’ndedong ». Il fait office de tuteur « A’tô’ôh » pour les régimes de bananiers sur pied. Le bambou sert aussi dans la décoration des murs de façade principale ou même intérieure des maisons. La trottinette fixée au sol « E’ntang » est faite de deux bambous horizontaux entre lesquels un enfant évolue pour apprendre à marcher. Les enfants qui jouent aux échasses et les danseurs sur échasses « loung-ndeng », recourent au bambou pour cette expression ludique.
- L’écorce extérieure du jeune bambou sert de liane « E’ndi’h » pour assembler les éléments des clôtures ou des constructions. Celle du bambou séché est plus dure et sert de « clous » pour assembler des morceaux de bambous dans les produits de l’artisanat. Elle sert aussi à l’extraction des chiques « lekiet kouhô-kouwou ». Elle entre enfin dans la fabrication des plafonds, des corbeilles « kekak, kè-ndza », des paniers « toung », des claies pour le séchage au soleil « klouè-klouè » ou au-dessus du foyer « lekang » de certains aliments comme les biscuits de morceaux d’igname bouillie « E’ndjuing » ou de patate douce également bouillie « E’ndjuing Mêh’tong’hô », ou de certains condiments pour la sauce de taro « tsi’tsih-npheu’h » comme le piment « sessouk », l’aubergine amère « E’ngu-ngüi », etc....
- La moelle de bambou « A’vouhoung », mise en lamelles, entre dans la fabrication des paniers, des corbeilles, des contrevents, de contrevents ou paravents « nkiyet », etc… Pour le transport des légumes et fruits cultivés à l’ouest, pour la décoration des places de cérémonies à l’occasion des deuils ou funérailles, certains quartiers ou village de chez nous se sont spécialisés dans la fabrication des paniers, corbeilles et des paravents et utilisent très largement le bambou raphia. La moelle de bambou est aussi utilisée par les enfants pour la fabrication de leurs jouets (voiturettes, poupées, etc...)
- Les fruits du bambou appelés « tchakoum » sont comestibles. Une fois séchés, on les retrouve dans la fabrication des rideaux et des chapeaux ou vêtements d’apparat comme sur la photo ci-dessus.
- The last but not the least est la sève du bambou raphia, liquide laiteux très sucré, qui va retenir notre attention dans les lignes ci-dessous. Le vin raphia, que nous appelons « Melouh’ la’a » ou « Melouh’ nkia » par opposition au vin de palme « Melouh’ letiôh », a une signification particulière dans notre culture. Il est servi pour conclure une affaire sérieuse, pour sceller un pacte, pour consolider une amitié, pour célébrer un mariage.
2e arrêt sur image : Dans la communauté Bafou de Yaoundé, un dignitaire bien connu du public a, depuis des années, pris l’habitude de recevoir ses invités en leur servant de la Kola et en leur offrant des arachides grillées dites du village « Mbian-la’a ». Si la saison s’y prête, des épis de maïs frais et des prunes rôtis à la braise vous sont également proposés avec, ... excusez du peu, ... du vin raphia. Oui, du vin raphia dans un quartier chic de la capitale ! Nous pouvons imaginer le trésor d’ingéniosité qu’il aura fallu déployer pour que ce liquide laiteux, cueilli tard le soir ou tôt le matin dans les plantations de bambous raphia de nos bas-fonds à Bafou, se retrouve à Yaoundé encore bien frais.
Mais, que se passe-t-il chez nous au village ? Face aux influences ravageuses des apports déplorables du monde extérieur véhiculés par un modernisme de mauvais aloi, notre bon vin raphia, « Melouh’ la’a » ou « Melouh’ nkia » est dédaigneusement appelé « E’nde mbieng nguiah » (je suis condamné à rentrer [ou à rester] à la maison). À sa place, nos parents aiment plutôt les boissons des différentes brasseries industrielles et des liqueurs comme ce vin rouge frelaté et de qualité douteuse qui vous saoule dès le premier verre et qu’on appelle « Song’te menek » (traduction : boisson qui vous met les yeux hors des orbites).
Pourquoi dédaigner nos produits et préférer ceux des autres ? Comme ce dignitaire Bafou de Yaoundé, il est urgent de revenir en arrière pour revaloriser nos propres produits. Le raphia fait partie de notre patrimoine culturel et sa réhabilitation nous interpelle.
Notons déjà que le bambou raphia, cette essence qui semble bénie des dieux en raison de ses nombreuses et multiples utilisations, est menacé de disparition chez nous parce que le reboisement ne suit pas. L’exigüité de l’espace agraire à Bafou pousse nos paysans à une exploitation anarchique des bas-fonds qui sont de plus en plus sollicités pour les cultures maraichères au détriment du bambou raphia. A l’occasion des funérailles que nous organisons, nous avons de plus en plus de difficultés à trouver sur place des contrevents dont la production régresse à cause de la rareté du bambou. Bientôt, on devra aussi dire adieu à ce bon vin raphia. Pour ne pas en arriver là, invitons nos parents à penser à la régénération du bambou raphia dont l’importance n’est plus à signaler. Nous avons le devoir et l’obligation de le réhabiliter.
Ecrit à Yaoundé le 15 août 2012
Par le fils du noble Ndeng-Kiah de Baleng
Pour conclure sur ce sujet, bafou.org vous fait partager ci-dessous, une réflexion de Dr Pierre-Marie Metangmo Efo’ Ntsalah Efo’ Nkemvou qui, au cours du Congrès de la Maturité et de la Réconciliation tenu du 07 au 10 août 2002 à Ntsingbeu, a fait à l’attention de ses frères et sœurs la déclamation suivante qui vous intéressera sûrement :
« De la valeur culturelle et symbolique du Raphia à son potentiel économique
(Nos produits locaux sont les meilleurs, il suffit d’y croire)
Rédigé à Ntsingbeu le 07 juillet 2002
Par Efo’ Ntsalah Efo’ Nkemvou Dr Pierre-Marie Metangmo
De tous les pays riches que j’ai visités, je n’en connais pas un seul qui n’ait fait de la consommation de ses produits locaux le véritable moteur de son économie et partant, de son développement. En général, ces pays commencent par donner une forte valeur symbolique et culturelle à leurs produits locaux qu’ils perçoivent et nous font percevoir comme les meilleurs du monde faisant ainsi accroître extraordinairement leur valeur économique et marchande. Ce simple mécanisme permet de procurer à leurs populations des millions d’emplois bien rémunérés, de faire circuler leur richesse à l’intérieur de leur propre pays et enfin, d’attirer par l’exportation les nombreuses richesses d’autres pays surtout ceux les plus pauvres qui succombant à leur publicité relèguent au second plan autant leurs propres valeurs symboliques et culturelles que leurs produits locaux. Désormais nos pays pauvres perçoivent tout ce qui est produit chez nous comme mauvais et sans valeur en comparaison à ce qui vient des pays riches. Cette perception perverse imposée à coup de grand renfort publicitaire et véhiculée avec la complicité de nos élites et dirigeants, premiers consommateurs des coûteux produits importés, vient sonner chaque jour un peu plus le glas de nos économies fragiles et nous appauvrir irrémédiablement.
Le Français, du plus riche au plus pauvre, du plus grand au plus petit ou du citadin au campagnard vous parlera avec beaucoup de fierté de la bonne baguette française, ou encore du bon vin de Bordeaux ou de Bourgogne tous des produits locaux qu’il considère et nous fait considérer comme les meilleurs du monde procurant ainsi du travail et de la richesse à de millions de ses compatriotes. Il en est de même de l’Américain avec son Coca-Cola et son Hamburger ou du Russe avec sa vodka et son caviar. Mais plus proche de nous, Gandhi a articulé la révolution et le développement économique de son pays, l’Inde, autour de la non-violence et surtout du filage du coton tissé ensuite pour fabriquer des tissus et vêtements locaux au prix très abordable que tous les Indiens portent comme symbole d’une identité culturelle retrouvée au détriment du costume-cravate du colonisateur. A la valeur symbolique de ce tissu de fabrication locale s’ajoute la forte valeur économique par la création de millions d’emplois et la redistribution aux paysans de la richesse produite par ses ventes à l’intérieur comme à l’exportation.
Avez vous déjà pensé à quel message nous donnons au reste du monde et à nos enfants quand alors qu’un ami Français qui nous invite à sa table nous sert avec beaucoup de fierté son vin de Bordeaux ou un Américain son Coca-Cola et un Hollandais ou un Allemand sa bière, nous aussi en retour à notre table au Cameroun leur servons ainsi qu’à tous nos invités de marque exactement les mêmes boissons même si mises en bouteille à Douala? Et le pire c’est que nous en sommes très fiers et en faisons le critère par excellence de la réussite ou richesse. Que faisons-nous de notre vin de raphia pourtant si agréable au palais quand il a modérément fermenté ou si nourrissant et riche quand il est fraîchement cueilli? Servi frais, chambré ou bouilli, il procure au palais des sensations diverses et des plaisirs incomparables. Tous les pays d’Asie servent avec la plus grande fierté du thé ou des infusions locales à table et entre les repas. Combien de temps encore resterons-nous les seuls au monde à n’avoir aucune fierté à consommer ou servir à nos invités de marque nos boissons locales? Pensez un instant à cette plante à tout faire qu’est le raphia et de laquelle nous tirons ce véritable nectar qu’est son vin. Avec ses nervures (bambous) nous construisons nos maisons, clôtures, greniers, mobiliers, plafonds et pratiquement toute sorte d’objets à usage quotidien. De ses feuilles nous couvrons nos toits alors que ses fibres sont de parfaits fils pour tisser sacs et vêtements. Sa moelle tendre et facile à façonner fait le bonheur des enfants qui en fabriquent des jouets de toute nature quand ses lianes remplacent aisément les clous chez nos architectes.
Mais, de la consommation des produits locaux nous n’avons cessé de parler depuis les indépendances pourtant nous ne nous en sommes jamais autant éloignés qu’à ce jour. A quand allons-nous enfin nous ressaisir pour joindre le geste à la parole? Notre congrès cette année est l’occasion de marquer ce grand coup même si en général les comportements sont lents à changer. Le vin de Raphia sera notre boisson de choix au cours de ce congrès et sera institué comme telle pour les fêtes à venir. En fait, ce n’est pas parce que ces pays sont riches que leurs produits sont les meilleurs mais plutôt parce qu’ils pensent que leurs produits sont les meilleurs du monde qu’ils deviennent riches. Au commencement il y a la conviction d’avoir le meilleur produit puis vient le travail pour transformer cette conviction en réalité et enfin la richesse pour tout couronner. A l’inverse, tant que nous penserons que nos produits locaux ne sont bons à rien, nous ne ferons aucun effort pour les perfectionner et continuerons malheureusement de consommer ceux des autres en nous appauvrissant à leur profit. Cette prise de conscience indispensable marquera un vrai tournant dans l’histoire de notre développement et c’est l’un des objectifs majeurs de notre congrès cette année. Nous devrons changer radicalement de repère et nous recentrer sur nos produits locaux qui seuls peuvent servir de base solide à notre développement. »
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