Le mariage traditionnel à Bafou (suite 3, "Kô'oh ntshi’h souk mbouh")
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- Publié le mardi 22 novembre 2011 10:32
Le mariage traditionnel à Bafou (suite 2, la dot)
II – "Kô'oh ntshi’h souk mbouh",
(Prends l'eau et lave-toi les mains !)
ou
La dot proprement dite à Bafou
En matière de mariage traditionnel, nous avons vu plus haut, qu’il fallait d’abord "frapper à la porte" du beau-père puis solliciter à travers "le sel des crânes", la bénédiction ou l’onction des grands-parents avant d’évoluer dans la dot proprement dite. Dans son exécution, celle-ci suit un certain ordre chronologique qui part du beau-père pour continuer ensuite vers les autres membres de la famille. Examinons ces étapes l’une après l’autre.
1 – La Dot destinée au beau-père :
Contrairement à ce qui se passe aujourd’hui où l’on peut se retrouver n’importe où, n’importe quand, avec n’importe qui, au domicile des parents du garçon ou même dans un lieu public loué, la cérémonie de la dot se passait uniquement le soir au domicile du beau-père et s’achevait au petit matin. Dans la semaine du pays Bamiléké qui compte huit jours, seuls deux étaient indiqués pour cette cérémonie : le Mbouô-Nwa et le Mbouôloh.
Au jour choisi pour cette cérémonie, le futur jeune marié arrive chez son beau-père en soirée, accompagné de sa famille et de ses proches amis. Ils sont installés dans une pièce qui, très souvent, était la cuisine même du beau-père ou de nos jours son salon. La famille de la jeune femme quant à elle, occupe la cuisine d’une des femmes du beau-père ou, de nos jours, une autre pièce de la maison paternelle.
Le rituel de la dot se déroulait de la manière suivante : les membres de la famille de la jeune femme entrent en file indienne dans la pièce affectée aux étrangers et saluent leurs hôtes. La jeune fille, sa mère et les coépouses de celle-ci n’assistaient pas à cette phase. Elles étaient plutôt à la cuisine où elles apprêtaient la nourriture qui sera servie. Notons que, pour des raisons qui nous échappent encore, certains plats, comme le couscous, n’étaient jamais préparés à l’occasion d’un mariage traditionnel.
La personne chargée des négociations du côté de la jeune fille prend la parole en premier pour souhaiter la bienvenue aux arrivants. Bien que sachant pourquoi ils étaient là, il leur demande ensuite ce qui leur vaut l’honneur de cette visite de nuit. Le négociateur du côté du futur jeune marié prend la parole à son tour pour les civilités d’usage et enfin pour spécifier l’objet de leur visite. Mais, il ne dira jamais qu’ils sont venus chercher une femme. Il dira plutôt qu’on est venu demander un avocat aperçu dans le champ du futur beau-père. Une si forte délégation pour demander un avocat ? ! ? ! Ce à quoi il lui est répondu qu’on ne part pas de si loin, les mains vides, pour venir demander un simple avocat alors que les arrivants sont réputés avoir les meilleurs champs de kolatiers de la contrée. Le représentant de la famille de la jeune fille enchainera en offrant lui-même de la kola à ses hôtes car, dira-t-il, "on n’arrête jamais quelqu’un pour lui exiger la présentation de son ticket d’impôt sans en avoir soi-même". Ainsi des noix de kolas sont fendues et distribuées aux arrivants pour leur souhaiter la bienvenue. Eux aussi répondront qu’en venant demander l’avocat, ils avaient apporté une corbeille de kolas. On reçoit la kola des arrivants, on la partage et après l’avoir mangé, on leur demande s’ils n’ont pas apporté de "l’eau pour la descendre". La boisson apportée par les arrivants est reçue et est partagée pour être bue pendant les négociations. Celle prévue par le beau-père viendra en renfort pour les mêmes civilités de bienvenue.
Beaucoup de choses se disent en paraboles et dans les blagues. De fil en aiguille et avec subtilité, on arrive à préciser qu’on est venu demander une femme pour faire la cuisine et chauffer l’eau du bain de tel patriarche. Cela s’exprime en yemba par "E’ndôh-medzui" ou demander la femme et non acheter la femme. Entrant dans le jeu, la famille de la fille présente, la face cachée sous un pagne, une, deux ou trois femmes, sans que ce ne soit celle qu’on veut. A tous les coups, on leur donne de l’argent en leur demandant de mieux s’investir dans la recherche. On vous dira par exemple que la seule qui pourrait peut-être vous intéresser était allée voir sa grand-mère malade dans un village voisin. La famille du garçon est obligée de donner de l’argent pour aller, à cette heure tardive, louer une voiture imaginaire. On revient vous dire que la voiture est tombée en panne et vous donnez de l’argent pour les réparations. Le même cirque va continuer ainsi au gré de l’inspiration de ceux qui parlementent du côté de la jeune fille. En définitive, toutes les raisons sont bonnes pour que la belle-famille sorte de l’argent.
Quand la femme à épouser est enfin présentée, c’est la joie dans la salle. Des questions sont alors publiquement posées aux jeunes gens pour qu’ils expriment à haute et intelligible voix leur volonté d’être unis par les liens du mariage. Pour signer publiquement leur engagement devant leurs deux familles, ils doivent couper et manger à deux un même quartier de cola et ensuite vider ensemble une corne remplie de vin raphia. De nos jours, on leur fait boire un mélange de deux boissons, par exemple de la bière mélangée à une boisson sucrée pour leur signifier que lorsque ces deux liquides ont été mélangés, on ne pouvait plus les dissocier.
Quand l’engagement des deux jeunes gens a été solennellement exprimé devant les deux familles, on peut alors passer à la phase des pourparlers pour la dot proprement dite. Ayons présent à l’esprit qu’on demande la femme, "E’ndôh-medzui" ; on ne l’achète pas.
Ainsi, pendant qu’on mange et qu’on boit, les négociations pour la dot se font sans tambour ni trompette d’une pièce à l’autre entre les représentants des deux familles. Pour fixer le montant de la dot, des bâtonnets sont présentés à la famille du jeune homme. Un bâtonnet a valeur de 100.000 francs, un demi-bâtonnet, la valeur de 50.000 francs. La famille demanderesse peut recevoir 5 bâtonnets équivalant à 500.000 francs et ne revenir présenter que 2 soit 200.000 francs ou un et demi soit 150.000 francs. Tout est fonction de l’art oratoire, du talent, de la finesse et du pouvoir de persuasion des personnes chargées de mener les négociations. Tout doucement et sans élever la voix, on finira par s’entendre sur le montant de la dot à verser au beau-père et qu’on appelle pudiquement la "chose du père de l’enfant" "A’jouôh môho-moh" ou encore "A’jouôh ngan-mbâh". Mais on n’oubliera pas de prévoir des "cordes" pour "attacher l’argent", "E’nkwet nkap". Les "cordes" sont toujours de l’argent comme dans le cas où il fallait "augmenter la grosseur d’une chèvre" ou "Es’so’h Nkôh mvouh". Cet argent permettra de "rémunérer" les négociateurs du côté de la famille de la jeune fille.
Sur le montant conclu, une avance pouvait, séance tenante, être discrètement dégagée au profit du beau-père et on s’entend sur la date à laquelle sera versé le solde. A Bafou, il était courant que celui qui a envoyé sa fille en mariage soit réveillé tôt le matin par ses créanciers ou même par un voisin qui voulait solliciter un prêt.
Dans certains cas, l’avance pouvait ne pas être faite pour une raison simple : pendant la période des fiançailles, le père de la jeune fille peut avoir eu l’occasion de demander au père du jeune homme de lui prêter de l’argent pour se libérer d’une dette ou pour régler un problème urgent.
En outre, si la fille envoyée en mariage avait préalablement fait l’objet d’une première dot, c’était le moment de désintéresser ceux qui réclamaient un remboursement. Très compliqué n’est-ce pas ? Mais, c’était les réalités de notre société.
A ce stade, tout n’est pas encore dit. La famille du garçon devra également penser aux sommes d’argent, "E’ghouang" ou "sel" à offrir aux personnes présentes et surtout à certaines personnes bien précises de la famille. La tradition prévoit sur ce chapitre :
2 – La gratification des enfants du grand-père paternel
Il s’agit ici des frères et sœurs du beau-père. Certains doivent être vus à leur domicile. D’autres peuvent recevoir leur don séance tenante ou à travers les personnes chargées de la négociation s’ils sont absents.
3- La gratification des enfants du grand-père maternel
Il s’agit ici des frères et sœurs de la belle mère. Même observation que ci-dessus.
4 - La gratification des enfants du beau-père:
Il s’agit ici des frères et sœurs de la fiancée : une enveloppe de 25.000 à 30.000 peut faire l’affaire.
5 – La gratification versée à la belle mère ou la houe de la belle-mère "A’chou nguem".
Si le beau-père reçoit la dot, "A’jouôh môho-moh", ou "A’jouôh ngan-mbâh", la belle-mère, quant à elle, reçoit un pagne et une modeste somme d’argent appelée la houe de la belle-mère ou "A’chou nguem". La jeune fille qui va en mariage était d’un grand secours dans les travaux champêtres de sa mère. Son départ est "indemnisé" par "une houe" dont le montant est à négocier avec les envoyés de la belle mère. Celle-ci n’était pas souvent très exigeante car, contrairement au beau-père, elle a été dans la confidence dès le premier jour des fiançailles et en a profité d’une manière ou d’une autre. En outre, c’est encore elle qui ira régulièrement rendre visite (et même séjourner) chez son beau-fils et être l’objet d’attentions diverses. Ceci permet de comprendre pourquoi, en cas de crise dans l’évolution de la procédure du mariage, c’est elle qui fait les frais de la colère du père qui se sent floué au travers de la complicité qui a souvent existé entre la mère, la fille et même le beau-fils. On a ainsi vu certaines belles-mères donner discrètement de l’argent à leur futur gendre pour venir régler les problèmes de dot leur fiancée. Si le père de la fille scelle -(on dit "E’mbang ni’")- la porte de la cuisine de sa femme et la chasse de chez lui, c’est parce que la mère, mieux que quiconque, détient les secrets pour dénouer tout problème relatif au départ en mariage de sa fille. Sans se présenter comme une association de malfaiteurs, le trio « belle-mère, fille et gendre » a souvent inquiété le beau-père.
6 – La gratification des amis du beau-père "E’-ghouang messouh ngang mba"
Il s’agit pour le jeune marié de se faire des alliés dans sa future belle famille. Un don symbolique est fait aux amis du beau-père. Très souvent il s’agira de 5.000 francs par ami.
7 – La gratification des amies de la belle-mère "E’ghouang messouh nguem" :
Même observation que ci-dessus.
8- Gratification des coépouses de la belle-mère ou femmes de la concession "E’ghouang medzui ngang-mba" :
Même observation que ci-dessus.
9 – Assiettes de poulets cuits et autres :
Nous avons dit au début de cette étude que le mariage traditionnel ne concernait pas deux individus, mais qu’il était plutôt une alliance entre deux familles, deux quartiers ou même deux villages. A l’issue des pourparlers décrits ci-dessus pour fixer le montant de la dot, après avoir désintéressé les personnes qui sont en droit d’attendre quelque chose et après qu’on ait servi à manger et à boire à tous les participants, la famille de la jeune fille présente des assiettes de nourriture - (encore !) - aux membres de la famille du jeune garçon. Ces assiettes contiennent très souvent des poulets rôtis, des œufs à la coque, des paquets de mets de haricot dit " koki " ou de pistache "ndjih" cuits dans des feuilles, de la kola, des arachides grillées, etc…. Les responsables de la famille du jeune homme répartissent ces assiettes aux membres influents de leur délégation. Il appartiendra à chaque bénéficiaire de vider l’assiette reçue de son contenu et d’y mettre de l’argent. On dira "E’ntso’h mepein" ou "faroter" les assiettes. Les étiquettes glissées dans les assiettes indiquent qu’elles émanent de la grande belle-mère paternelle, de la grande belle-mère maternelle, de la belle-mère, de ses coépouses, de l’amie de la belle-mère, de la mariée elle-même ou de l’amie de la mariée. Le montant à donner tient compte de la provenance de chaque assiette. Mais très souvent, le négociateur rassemble tout ce qui est mis dans les assiettes et donne globalement une somme d’argent qui sera répartie par ces dames de la famille de la jeune fille.
10- Séances de commerce :
Avant le départ de la famille demanderesse, des vivres crus en paniers, en corbeille, ou en sac ; (pommes de terre, taros, macabos, ignames, plantains, maïs, haricot, légumes divers, etc…) sont exposés pour la vente. Le prix est à négocier. Il est souvent dérisoire et c’est l’acheteur qui s’en sort à très bon compte. En effet, ce commerce est une manière de dire à la famille du gendre que la belle famille ne se "débarrasse" pas de sa fille parce qu’elle n’a pas de quoi la nourrir. Non ! Au contraire, elle en a à revendre ! Et la cérémonie de vente sert à annoncer la couleur des bonnes relations de solidarité et d’entraide qui devront à l’avenir exister entre les deux familles.
11 – Chansons de joie et Motivations diverses
Le mariage étant conclu, les femmes de la concession du beau-père expriment leur joie par des chansons, "Essa’ah lessong", qui font l’objet d’une rémunération de 5.000 ou 10.000 francs par groupe de femmes. On distinguera les chansons de joie de la belle-mère et de ses coépouses, de la grande belle-mère et des femmes du grand père paternel.
-----------------------------conclusion partielle---------------------------------
Pour boucler ce chapitre, relevons que c’est à dessein que les dépenses ci-dessus décrites ne sont pas supportées par le jeune fiancé tout seul, mais par la presque totalité des membres de sa famille, par les amis de ses parents, par ses propres amis qui l’ont aidé à distance et par ceux qui ont tenu à faire le déplacement pour la cérémonie de la dot. Très souvent, le père de la jeune fille, (ou même dans certains cas sa mère), est appelé discrètement en renfort et prête de l’argent à sa belle famille pour régler un cas resté pendant. Au bout du compte, la jeune fille n’a pas été dotée par un seul homme, mais par toute une famille. Dans les actes qu’ils auront à poser dans la vie, les jeunes mariés devront avoir présent à l’esprit qu’ils sont moralement débiteurs vis-à-vis de la société toute entière et qu’ils ont, de par leur conduite, des comptes à lui rendre. C’est pour cela que, sans être polyandre, la femme mariée utilisera le terme « mes maris » pour désigner tous ces gens de sa belle famille qui ont contribué à ce qu’elle soit en mariage. Une manière par laquelle notre tradition contribue à la consolidation du lien conjugal.
Après la dot telle que développée ci-dessus, la jeune fille doit recevoir la bénédiction de ses parents et des dieux de sa famille et partir en mariage. C’est l’étape de la bénédiction de la mariée par son père "E’ntcho’oh medzui", de son accompagnement chez son mari "E’tsak’ne dzui ngueu", puis des noces qui respectent également un autre rituel que nous allons examiner ci-dessous.
A suivre !
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