3e partie : les noces dans le mariage traditionnel (FIN
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- Publié le mercredi 21 décembre 2011 09:10
Le mariage traditionnel à Bafou (suite 3, "Kô'oh ntshi’h souk mbouh")
A. La bénédiction de la jeune mariée (E’ntcho’oh Médju)
"On ne retient pas la corde d’une chèvre vendue" dit un adage bien de chez nous. Après les cérémonies développées ci-dessus autour de la dot, et cette dot ayant été versée, la jeune fille pouvait aller en mariage. Les adieux et la bénédiction que la jeune fille recevait de sa famille suivaient également un rituel qui, de nos jours, est de plus en plus abandonné. Pour en comprendre le pourquoi et le comment, examinons ci-dessous ensemble ce que la tradition a prévu en la matière.
Pour la cérémonie de bénédiction du mariage (E’ntcho’oh Médju), il fallait prévoir :
02 calebasses d’huile de palme pour le beau-père et pour la belle-mère
02 régimes de plantain pour le beau-père et pour la belle-mère
02 calebasses de vin raphia pour le beau-père et pour la belle-mère
02 "Lepfwouh kedong" autrement appelé Kondrè", c’est-à-dire deux colis de plantain cuit avec de la viande de porc ou de bœuf. Comme il n’y avait pas d’assiettes ou de cuvettes à l’époque, cette nourriture était transportée dans des mortiers en bois ("Lepfwouh") ou dans des paniers en lamelles d’écorce de bambous raphia ("Toung") ou en lamelles de moelle de bambous raphia tressées ("Kekak") matelassés de feuilles de bananier délicatement passées sur la flamme d’un feu de bois. De nos jours, la calebasse d’huile de palme est devenue bidon ou tine tandis que la calebasse de vin raphia a cédé la place aux casiers de bières, bouteilles, dame jeannes ou cartons de vin rouge.
Le jeune marié s’avançait chez lui avec ses amis et laissait à sa famille le soin de lui ramener sa jeune épouse. Après son départ, la cérémonie de bénédiction de la jeune fille (E’ntcho’oh Médju) se faisait dans la stricte intimité au sein de sa famille paternelle et en trois étapes. On distinguait l’étape du père, celle de la mère et enfin celle des ancêtres et des dieux de la famille. Précisons déjà que dans les temps anciens, les hommes ne vivaient pas sous le même toit que leurs épouses. Avec les exigences et les contraintes de la polygamie, l’homme avait sa maison à part avec chambre, cuisine et magasin. Les femmes aussi avaient leur maison où elles vivaient avec leurs enfants. Ceci permettra de bien comprendre la suite.
1-La bénédiction donnée par le père:
Elle se faisait dans sa propre cuisine. Une touffe d’herbe rampante appelée localement "Tsitsiet" est cueillie et ramenée dans la cuisine du père. Elle est mélangée à de l’huile de palme et triturée avec de l’eau et de la terre creusée à côté de la pierre principale du foyer. Cette mixture grasse est appliquée par le père sur la poitrine de la jeune fille, entre ses deux seins, sur son front, dans le creux entre ses épaules. En officiant de la sorte, il fait des conjurations et des incantations pour solliciter sur les jeunes mariés, la protection des dieux de la contrée, du village, du quartier et de la famille. Il utilisera régulièrement l’expression "A’môh’-Mb’ang… ! A’môh’-Medzui… !", (un garçon, une fille) pour dire à la jeune femme d’être féconde. Il voudrait rapidement avoir son homonyme dans la nouvelle famille de sa fille. En effet, quel que soit son sexe, le premier enfant d’une jeune femme envoyée en mariage, recevait le nom de son grand-père maternel. Elle devra procréer comme cette plante rampante appelée "Le’wouwou", symbole de la fécondité, réputée pour sa très grande propension à se multiplier. Un sac en fibre de raphia appelé "E-m’bô’oh" était remis à la jeune femme en même temps que quelques cauris, un bracelet en cuivre et deux gousses d’un fruit sauvage appelé localement "Ndeuh-ndeuh" et utilisé dans la plupart des rites de protection chez les Bamiléké. Les proches parents de la jeune fille passaient à tour de rôle crachoter dans la paume de sa main pour lui donner leur bénédiction. Ils mettaient ensuite un cadeau (pièces d’argent, noix de kola, gousses d’arachide, ou autre) dans son sac ; opération appelée "E’neng-E-m’bô’oh". Du vin raphia mélangé au "tsitsiet" était donné à boire à la jeune femme. Une petite quantité de "tsitsiet" enveloppée dans un bout de feuille était confiée à la femme qui accompagnera la jeune mariée dans son foyer.
Le cérémonial du "tsitsiet" était un engagement de fidélité à son mari que la jeune femme prenait devant ses parents. Une malédiction appelée "E’mpfou’h’" et aux conséquences terribles planait sur la tête de toute femme qui serait convaincue d’infidélité. Celle-ci s’exposait à des maladies mystérieuses avec gonflement du corps, à des morts en couche, au blocage de l’amant partenaire d’une relation intime avec elle, etc.… En cas de maladie d’un des conjoints, l’autre ne devait pas entrer dans la chambre où il ou elle recevait ses soins.
Au fil du temps, avec l’arrivée du modernisme, la multiplication et l’amélioration des voies de communication, avec le brassage des populations locales avec d’autres peuples, avec le changement négatif des mentalités et l’accroissement de la légèreté et du vagabondage dans le domaine sexuel, avec l’apparition et la généralisation des comportements et des mœurs de plus en plus débridés et dilués, le "tsitsiet" s’est avérée être d’une efficacité diabolique et d’une nuisance insoupçonnée. Ainsi, face aux ravages créés dans les familles par le "E’mpfou’h’" et à ses conséquences dans la société, la pratique de (E’ntcho’oh Médju) telle que développée ci-dessus a été pratiquement abandonnée. Le cérémonial du "Tsitsiet" a été unanimement condamné et n’intervient plus dans le mariage traditionnel.
2-La bénédiction donnée par la mère:
Elle est donnée également dans sa cuisine à elle et autour des canaris sacrés des jumeaux appelés "E’nkang pô’oh mefack". C’est l’occasion pour la mère, assistée d’une mégni (mère de jumeaux) ou d’une Ndjuissi (prêtresse), de ses coépouses et des autres femmes de la concession, de solliciter la protection des dieux de la famille sur le jeune couple. Deux minuscules fioles en calebasse sont extraites des canaris. Ces fioles contiennent un produit appelé "A’fouwoh si’h" (remède des dieux) et se présentant sous la forme d’une poudre de couleur blanchâtre (du kaolin écrasé) et d’une deuxième poudre de couleur rouge (de l’acajou écrasé). Une pincée de poudre rouge est frottée sur la tête de la jeune mariée tandis qu’une pincée de poudre blanche qu’elle doit lécher est posée sur la paume de sa main gauche. Les paroles prononcées par l’officiante principale et les autres femmes concourent toutes à l’invocation des dieux de la famille pour guider les pas de la jeune mariée dans sa nouvelle famille, lui faire avoir beaucoup d’enfants et la protéger des jaloux et des méchants qui pourraient lui vouloir du mal.
3-La bénédiction des dieux de la famille :
Après les étapes du père et de la mère, la jeune fille est conduite derrière la maison, près de l’autel aménagé pour la conservation des cranes des ancêtres de la famille ("E’nguia metou’wou mpfou’wou") et ensuite vers les lieux de culte ("E’nguia-ssih") des dieux de la famille à l’entrée de la concession ("Ndem tchouh’-bouh’") ou dans les bas-fonds ("Ndem- ndouh’"). L’officiant verse de l’eau dans les canaris qui s’y trouvent, asperge les lieux de sel et d’huile de palme et dit aux ancêtres matérialisés par leurs cranes et aux dieux protecteurs de la famille représentés par une pierre ou un arbre, que leur fille s’en va en mariage. Ils devront "être devant et elle derrière". Ils devront "faire tomber toute chenille qui monterait sur sa tête". Ils devront aussi "aveugler tous ceux qui la regarderaient avec de mauvaises intentions".
Avec la percée fulgurante du christianisme dans notre sphère culturelle, avec la jalousie ambiante qui se manifestait par le mauvais sort qu’on jetterait à la jeune mariée, la bénédiction de la jeune fille est de plus en plus abandonnée. D’ailleurs, très souvent, quand on s’assoit pour parler de la dot, la jeune fille n’est pas présente. Si on la fait représenter par une autre jeune fille, celle-ci n’ira pas jusqu’à recevoir ces bénédictions du père, de la mère, des ancêtres et des dieux de la famille décrites ci-dessus.
B- L’accompagnement de la jeune mariée "E’tsak’ne dzui ngueu"
La jeune mariée ayant reçu la bénédiction et les adieux de sa famille entre dans le cortège nuptial qui la conduira chez son époux. Ce cortège est essentiellement composé des hommes et femmes de sa belle-famille. Mais, la présence de deux accompagnatrices issues de la famille de la jeune mariée est à signaler : la première est appelée "mê’ghap" et la deuxième "ndzoh’-pfeung".
La "mê’ghap" est une femme mure déjà mariée et très proche de la jeune femme. Elle peut être une des coépouses de sa mère ou la femme d’un de ses oncles. C’est elle qui porte le "tsitsiet" qu’elle glissera au chevet du lit des jeunes mariés. Elle joue le rôle de confidente, prodigue des conseils et veille à ce que la nuit de noces se passe sans problème. Lorsqu’elle repart le lendemain, elle reçoit en cadeau une pièce de pagne.
La "ndzoh’-pfeung" quant à elle est une gamine dont l’âge varie entre 7 et 10 ans. Elle est la petite sœur, la cousine ou la nièce de la jeune mariée. Elle aidera celle-ci dans ses petits travaux domestiques en allant chercher le bois, en allant puiser de l’eau , en faisant la vaisselle, en aidant à faire la cuisine, en faisant les courses. Sa présence aux côtés de la jeune mariée est importante et peut durer des années. Avec elle, la jeune femme ne se sent pas trop abandonnée des siens et quand elle accouchera, la "ndzoh’-pfeung" deviendra la berceuse du bébé ou "nguih’ih-mô". Très souvent, la "ndzoh’-pfeung" grandissait et se trouvait aussi un mari sur place dans le village d’accueil.
Lorsque le cortège nuptial s’ébranle vers la concession de l’époux, on entendait, tard dans la nuit (ou tôt le matin), les femmes chanter leur retour triomphal en ces termes :
Peck gheoh têh peck lôh nko’h ! Oh oh ya’ah !
Nous sommes partis et nous voici de retour ! Oh oh ya’ah !
Siackne me gouang, siackne me mevet ! Oh oh ya’ah !
Nous disons merci avec du sel et de l’huile ! Oh oh ya’ah !
Mais, devant la double échelle, "E’kô’h", de l’entrée principale de la concession et devant la porte de la maison, la "mê’ghap" arrêtait le cortège pour exiger qu’on lui paye le "N’tock tchouh-mbouh’" ou frais de traversée de l’entrée principale de la concession et le "Nkouh’ nguia" ou frais d’entrée dans la maison. La dernière exigence de la "mê’ghap" sera qu’on lui paye le "N’nong-kô’oh" ou frais d’introduction de la mariée dans le lit conjugal.
Toutes ces exigences étaient réglées par de modiques sommes d’argent et dans la bonne humeur.
***********************
Notons pour conclure que le mariage traditionnel, tel que conçu par nos ancêtres, avaient du bon. En dehors des aspects négatifs relevés ci-dessus et au fur et à mesure de nos précédents développements, il y avait des aspects positifs qui méritent d’être maintenus et consolidés pour la sauvegarde de notre patrimoine culturel. L’union matrimoniale n’étant pas l’affaire de deux individus, la société se mettait, dès le début, au cœur de l’union du couple et avait prévu des mécanismes divers pour protéger et consolider cette union. La participation de plusieurs personnes dans la négociation et le paiement de la dot d’une femme entrainait des devoirs et des obligations de la part des jeunes mariés vis-à-vis d’eux-mêmes et vis-à-vis de leur entourage. Ceux qui osaient s’attaquer à l’union matrimoniale consacrée par la société recevaient la punition qu’ils méritaient. En dehors des formules punitives signalées dans les paragraphes précédemment développés, nous pouvons également parler de la possibilité de solliciter les foudres du tribunal mystique appelé "feum ntsingbeu" ou celle de l’envoi du tonnerre "ntôh lefang" pour faire rendre gorge à ceux qui vous ont arraché votre épouse et refusé de vous rembourser la dot.
On dit souvent que "La peur du gendarme est le début de la sagesse". Ainsi, la psychose créée dans les esprits par le "tsitsiet" qui, en réalité, n’était qu’une simple herbe, la peur du "E’mpfou’h’", phénomène subséquent à la violation du devoir de fidélité, la peur du "lefang", la peur du "feum ntsingbeu", etc… obligeaient les gens à se tenir à carreau.
Mais l’élément le plus important à considérer était le respect de la parole donnée. Chez nous, pour dire bonjour, on disait "Alê-koôh ?" qui veut dire mot à mot :"c’est comment ?" Et la réponse était invariablement "Azêh poup" qui signifie aussi mot à mot : "C’est toujours comme avant" pour dire que "rien n’a changé". En clair, ce que nous avions conclu ensemble reste intact. Il n’y a aucun changement dans ce que nous avions conclu à deux. La transformation aujourd’hui du "Azêh poup" en "Assi ndzien’h" signifiant "c’est en train de marcher" est impropre et n’a pas de sens. En matière de mariage, la parole donnée dès le premier jour avait de la valeur et se respectait toute la vie. Lorsqu’un homme choisit une femme encore dans le sein de sa mère, il maintenait ce choix même si à la naissance, la jeune fille était infirme ou n’était pas un canon de beauté.
Voila autant d’éléments qui permettent de comprendre pourquoi nos parents, qui n’avaient aucun acte de mariage, aient pu vivre si longtemps en harmonie sans penser au divorce comme c’est le cas de nos jours.
Pour la rédaction de cet article, outre les multiples mariages auxquels nous avons pris part, outre nos multiples lectures sur nos cultures et traditions, nous avons bénéficié des lumières des personnes suivantes :
- Sa Majesté Fo’o Ndong Victor KANA III
- Moho Sob NGUIMAPI ATOUDEM Jean
- Moho Zoho NGOUADJEU Jean
- Ma’a Meffo TEMATIO Véronique (Reine mère Bafou)
- Pharmacien Maire TSOBGNY PANKA Paul
- KEMVOU KANA Tropeng Nicolas
- Fo’o DJOTSA Joseph
- Menkem Ndjquot;serifquot;; color: black;Mais, devant la double échelle, ou frais d’introduction de la mariée dans mso-spacerun: yes;span style=p class=quot;Georgiastrong style=mso-bidi-font-style: normal;quot;Georgiale lit conjugal. ieu NGUEMDZI Léonard
- NGUEZET Guy Mathurin
- Moho Ndziih DOUNTSOP Jean
- WAMBA Rigobert
- Ma’a Mbeng DONGMO Elise
- Assob TAMGNOUE David
- Ma’a Mêfo’o Ndjumêgheu TAMGNOUE Hélène
- NGUIMZANG Antoine
- Maman NGUIMZANG Octavie
- Mema Ma’a DONGMO ZATCHA Marie
- Tégni Tekoudjou DONGMO André
-Efo’o Sessa KENFACK Etienne
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