« N’NONG », « N’GUIA’A », « N’GWAH », TROIS VERBES DIFFERENTS POUR DESIGNERL’ACTE D’OFFRIR DES SACRIFICES AUX ANCETRES ET AUX DIVINITES. POURQUOI ? COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA ?
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- Publié le mardi 29 décembre 2020 12:55
- Écrit par Mô’ô Temoyim, Tsombeng Jean, I.A.E.B émérite, 3eme chef de la famille Temoyim Ma’a, à Lefè-Djeuyim
Dans la langue Yemba, l’acte d’offrir des sacrifices aux ancêtres qui consiste généralement en une offrande constituée d’éléments minéraux (eau, sel), végétaux (pistaches, arachides) et/ou animaux (volailles, chèvre), respectueusement et soigneusement déposées sur l’autel des sacrifices (cases et lieux sacrés) ; le reste étant destiné à la consommation des participants et de tous les passants arrivés à l’improviste, se désigne par trois mots (verbes) différents : « N’nong », « N’guia’a », « N’gwah ».(1)
Nos recherches exploratoires et les anciens que nous avons approchés pour éclairer notre lanterne, nous ont donné de collecter des informations, des explications et des précisions dont la synthèse et l’exploitation nous ont permis de déduire, tout en privilégiant les points d’accord, les points de ressemblance et de convergence, que jadis, seuls étaient utilisés pour traduire l’acte d’offrir des sacrifices les termes « N’nong » qui signifie : déposer avec soins et respect, par devoir filial, « Nguia’a » : donner par déférence et par soumission, ce à quoi les ancêtres ont droit en leur qualité de protecteurs et d’intercesseurs de la famille, et le concept péjoratif « N’gwah »,qui veut dire « jeter » avec dédains et mépris, sans y attacher de l’importance, sans intérêt, sous la pression des parents, juste pour avoir la paix. Pour y comprendre quelque chose, commençons par nous enquérir de l’origine de ce terme négatif : selon nos informateurs, ce dernier terme date du début de la période coloniale. En effet, l’histoire de la colonisation de l’Afrique nous apprend que les blancs sont arrivés en Afrique avec dans une main, le fusil, et dans l’autre, la bible. Le couple « colonisation » et « évangélisations » n’a donc pas été créé par hasard,’ ; il a été inventé à dessein pour soumettre les Noirs, leur inculquer le complexe d’infériorité, et exploiter leurs ressources du sol et du sous-sol. LEOPOLD.II, l’a confirmé dans son discours aux premiers missionnaires du Congo Belge, (R.D.C, actuelle), en leur faisant les prescriptions ci-après : « Le but principal de votre mission au Congo, n’est point d’apprendre aux nègres à connaitre Dieu ; ils le connaissent déjà depuis leurs Ancêtres ; ils parlent et se soumettent à MUGU, NZAMBI, NZAKOMBA, MOUKOULO, etc. et que sais-je encore…Ayons le courage de l’avouer, vous venez, non pour leur apprendre à connaitre ce qu’ils savent déjà. Votre rôle essentiel qu’est l’enseignement est de faciliter la tâche aux administrateurs et aux industriels. C’est donc dire que vous interpréterez l’évangile de façon qui serve à mieux protéger nos intérêts dans cette partie du monde.
Pour ce faire, vous veillerez entre autre à désintéresser nos sauvages noirs des richesses dont regorgent leurs sols et sous-sol pour éviter qu’ils s’y intéressent, qu’ils ne nous fassent pas une concurrence meurtrière et rêvent un jour de nous déloger de cette partie avant qu’on s’enrichisse…Vous ferez tout pour que le noir ait peur de s’enrichir pour mériter le ciel. » (LEOPOL II, roi des Belges, discours aux premiers missionnaires, 12 Janvier 1883.)
Ainsi galvanisés et tels des chiens de chasse, ivres et enragés, ces premiers missionnaires, ignorants des coutumes, des traditions, bref, ignorants des cultures locales, condescendants, bourrés de complexes et victimes des préjugés défavorables à l’égard des noirs africains et de leur culture, avaient tôt fait de proscrire sans le connaître, le culte des Ancêtres qu’il taxèrent de pratique diabolique, d’idolâtrie, ou de sorcellerie. Dans la même foulée, ils interdirent l’usage à l’église de tous les objets ayant trait au culte des ancêtres, ainsi que la polygamie ! Comme pour eux, tout ce qui n’était pas occidental était mauvais, ils avaient oublié que : « Toute parole qui proclame la foi est d’abord une parole humaine, enracinée dans une culture particulière. (2) Pour faire face à la situation, certains Bamiléké comme les Bafou, abandonnèrent leurs traditions et leurs coutumes ancestrales, détruisirent les cases et autres lieux sacrés, bref, apostasièrent et répudièrent leurs femmes pour n’en garder qu’une seule, afin d’être acceptés à l’église chrétienne.
D’autres par contre, entrèrent dans une semi-clandestinité, et adoptèrent un comportement ambigu pour jouer sur les deux tableaux à la fois ; allant à l’église tous les dimanches et même quotidiennement, mais de l’autre côté n’hésitant pas à offrir des sacrifices aux Ancêtres en temps opportun, sans oublier l’organisation des cérémonies et des rites quand le besoin se faisait sentir. Tout cela signifie en fait, que l’église chrétienne, malgré son catéchisme, malgré ses sacrements et toutes ses structures d’acculturation des africains, n’a pas pu avoir un impact réel et significatif sur la vie sociale, et sur les croyances de ces derniers qui ont de la peine à s’y reconnaitre. En effet, les religions importées en Afrique sont restées profondément, infiltrées, imprégnées des pratiques coutumières de chaque peuple, en dépit des velléités de lavage de cerveaux des convertis colonisés par les envahisseurs. Au Cameroun, par exemple, l’Islam des Bamoun est différent de celui pratiqué dans l’Adamaoua par les Peuls (Bororo), lui-même loin d’être identique à l’Islam pratiqué par les Manderas de l’Extrême-Nord. Au niveau africain et mondial, l’Islam du Mali n’est pas celui du Maroc ou de l’Egypte, encore moins celui pratiqué en Arabie Saoudite, différent, lui-même de celui de l’Iran, etc.
En fait, les Ancêtres occupent une place si importante dans l’existence des vivants, chrétiens, musulmans ou autres, qu’ils ne peuvent s’en affranchir ni en faire fi.
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Ceci explique pourquoi le terme « Ngwah » a fait son apparition dans le langage cultuel des Bafou parce que réduits à la clandestinité, leurs offrandes et leurs sacrifices, faits en catimini, à la sauvette, ils n’étaient pas certains qu’ils parviendraient à leurs lointains destinataires. La peur d’être surpris ou démasqués, d’être accusés de syncrétisme, ou de subir les violences et les sévices des colons qui ne se gênaient pas pour « battre, injurier, arrêter, pour se faire respecter », hantait et troublait leurs esprits en permanence ! L’utilisation de ce verbe négatif fut par la suite perpétuée et amplifiée par une nouvelle classe d’évolués acculturés, d’hybrides nés des brassages des cultures dans les plantations industrielles et dans les villes nouvellement créées dans les forêts vierges d’Afrique, qui avaient perdu tout contact avec les traditions ancestrales. Mais qui, une fois confrontés aux vents contraires, aux échecs, à l’infortune, ou à la maladie, se résignent à sortir de leur insouciance, et pour les besoins de la cause, s’exécutent malgré eux, sans accorder de l’importance aux sacrifices et aux offrandes apprêtés. Cela, dans le seul but de satisfaire aux exigences pressantes des parents ou des proches, face à une situation périlleuse, face à un mauvais sort, pour apaiser leur conscience.
Une autre attitude qui tient à peu près de la même logique est celle de certains fils ou filles qui, en désaccord, en porte-à-faux avec leur «père» (successeur), n’ont plus d’autres choix pour présenter des offrandes ou pour faire des sacrifices à leurs ancêtres que de les jeter, ou de les répandre en direction ou à l’entrée de la concession familiale, en invoquant les ancêtres et les divinités destinataires, dans l’espoir de renouer avec la paix, la santé, le succès, la prospérité, etc. Ils agissent ainsi parce qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas, par condescendance ou pour d’autres raisons, descendre dans leur concession familiale pour y faire déposer leurs sacrifices dans la case sacrée par le « père » redouté, méprisé, dénigré et parfois combattu. Malheureusement, et à leur grand regret, celui-ci reste et demeure le principal officiant des rites et des cérémonies sur «les têtes» des ancêtres au sanctuaire familial. C’est pour nous le lieu de marteler, d’insister pour rappeler que selon la tradition Bafou et selon la tradition Bamiléké en général, le successeur n’est pas un simple représentant, ou seulement l’un des héritiers du défunt. Le « successeur » est le « père », et doit être considéré comme tel en toutes circonstances, avec toutes les conséquences coutumières qui en découlent, notamment en ce qui concerne ses prérogatives, le respect qui lui est dû, ses droits et obligations sur tous les plans. Les «Pères », pour les familles et les « chefs », en ce qui est des communautés, il ne faut pas l’oublier, gardent une relation particulièrement privilégiée avec les ancêtres dont ils sont les principaux relais entre ces derniers et les autres membres des familles ou des communautés. Ils sont comptables devant eux, de la gestionetde l’évolution de leur famille ou de leur communauté.
C’est dire qu’ils ont un rôle sacré. Et un fils ou une fille qui ne les honore pas, compromet ipso facto, ses propres rapports avec les ancêtres et avec Dieu.
Nous devons alors, par souci de cohérence, assainir nos relations familiales, pour remettre au goût du jour, les deux terminologies positives : «N’nong » et «N’guia’a », qui au demeurant, désignent une même réalité, telle que nous l’avons indiqué plus haut, c’est-à-dire présenter soigneusement et respectueusement des offrandes et des sacrifices à l’autel d’une case sacrée pour les ancêtres, ou d’un lieu sacrée pour une divinité (n’Sih). Par les personnes initiées ou attitrées, conformément aux normes consacrées par les usages coutumiers.
En effet, lorsqu’une personne est en butte à la malchance, ou à des maladies mystiques, confrontée à des malheurs ou à des échecs répétitifs, cette personne, ainsi que des membres de sa famille doivent, selon la tradition Bafou, faire recours aux devins et aux voyants pour rechercher les causes de ces infortunes. Et lorsque la nécessité d’une offrande ou d’un sacrifice sur la « tête » d’un ancêtre, ou à des divinités s’impose formellement, la personne concernée est tenue de convenir avec l’officiant principal de la cérémonie, d’une date appropriée, selon les jours (huit), de la semaine Yemba. Il en informe les autres membres de sa famille, les habitants du quartier ou du village, hommes, femmes et enfants. Il faut relever ici pour le déplorer que ces précautions préalables nécessaires pour le faste et le bon déroulement de la cérémonie, ne peuvent être prises quand il s’agit d’une offrande ou d’un sacrifice à la sauvette, « N’gwah ».
Le jour fixé, lorsque les participants sont en place, le maître de cérémonie invite le requérant du jour à disposer devant l’autel tous les éléments sacrificiels, les différents mets et les libations (boissons), conformément aux indications des voyants et des devins. Après s’être assuré que tout a été apprêté, il introduit le donateur et adresse publiquement à la divinité, ou d’abord à l’ancêtre honoré, puis aux autres, selon le cas, les doléances et les prières en faveur du demandeur. Précisons bien qu’en vertu de son principe de diversification des pratiques, ils n’existent pas de prières canoniques dans la religion traditionnelle Africaine. Les sollicitations et les prières sont exprimées selon les contextes, les circonstances, la verve, l’art oratoire de l’officiant, et surtout selon le type de sacrifice, notamment : le sacrifice pour demander, pour rendre propice « n’do’ô » ( sacrifice propitiatoire), le sacrifice pour se purifier, laver un mauvais sors, réparer la transgression d’un tabou ou une offense aux ancêtres « f’fêh n’doh » (sacrifice expiatoire), le sacrifice pour dire merci, témoigner sa joie et sa reconnaissance à Dieu par l’intermédiaire des ancêtres ou des divinités, « n’siak-néh » (sacrifice d’action de grâce, après une naissance, la réussite d’un événement, un succès à un concours ou examen).
Par exemple, à titre illustratif et sans revendiquer la maîtrise des dédales et des sinuosités de la pratique des rites et cérémonies sacrificiels, on peut avoir ceci : invoquant le nom de l’ancêtre qui a exigé les offrandes, l’officiant peut lui adresser des prières, exprimer des doléances et des sollicitations à son adresse en ces termes : « voici devant toi ton enfant (dit son nom), à qui tu as demandé ce que tu aimais tant. Il n’a pas lésiné sur les moyens. Tout ce que tu as sollicité a été généreusement apprêté, rien ne manque : voici du sel, de l’huile rouge, la poule ou la chèvre, et tous les autres mets et libations à votre goût tels que vous les aimiez. Mangez et buvez de bonne bouche, mangez, buvez avec joie et action de grâce. N’en donnez pas à ceux qui ont un mauvais cœur. Que tous ceux qui portent un regard maléfique sur lui, soient frappés de cécité. Que toute chenille qui « monte » sur la tête de votre enfant ici présent, ou sur celle de n’importe lequel de vos enfants, s’écrase au sol et meure. Protégez-le des sorciers et des vampires. Rendez-le invisible face aux ennemis. Donnez-lui d’obtenir du bon Dieu, la chance, le succès, et la prospérité dans toutes ses entreprises. Que partout où il pose un pied, qu’il se baisse pour ramasser (sous-entendu : quelque chose de bon, de précieux) avec la main. Que Dieu lui accorde par votre intersession, tout ce dont il a besoin : de l’argent et ceux qui vont en jouir, une femme soumise et féconde ou un mari prévenant et attentionné, des enfants (garçons et filles). Soyez partout devant et eux derrière. Demandez à Dieu pour nous, la paix, la santé et la bonne entente, etc. »
Tout en joignant le geste à la parole, l’officiant dépose et verse devant le crâne de chaque ancêtre, sa part de tous les mets, d’éléments sacrificiels, et des libations, en commençant chaque fois par l’ancêtre qui a demandé les offrandes ou le sacrifice. Pour terminer, il pose la poule ou la chèvre sur la tête, les épaules, la poitrine et le dos du donateur (postulant) accroupi, lui tourne plusieurs foisautour en disant : « Que cet animal te purifie de tous les maux qui pèsent sur toi. Qu’il t’enlève les mauvais sors, les maladies, la malchance, etc. » Après ce rituel, le volatile ou l’animal est, soit conservé dans la case ou au lieu sacré à la disposition de l’officiant. Soit elle est immolée pour asperger le postulant de son sang, s’il s’agit d’un mâle (symbole de la force et de puissance). Ensuite, sa chaire découpée en petits morceaux est frite, brulée à la flamme ou braisée, ajoutée aux autres éléments sacrificiels, surtout le foie, le cœur et les poumons destinés aux ancêtres. Le reste est ajouté aux autres mets, pour être partager et consommer en communion par l’assistance, avec tous ceux qui viendraient à passer par là sans avoir été informés, juste par pure coïncidence; ce qui traduit un signe de réussite et un bon présage pour le donateur, quant à l’issue favorable de la cérémonie. Pour terminer en beauté, le postulant distribue des friandises aux enfants : bombons, biscuits, croquettes, etc. Les femmes se partagent les restes d’huile de palme, de sel, et des autres mets, tous vident les dernières libations et les femmes entonnent des chants en l’honneur du postulant, que tout le monde reprend en cœur, et on se séparent dans une ambiance de fête !
Aujourd’hui, il nous est donné d’observer avec regret et stupéfaction, que le modernisme envahissant, la dilution et la pollution de notre environnement culturel et cultuel, au contact des cultures étrangères, ont conservé et rendu plus usité, voire généralisé, l’emploi du terme péjoratif «N’gwah», qui ternit cette cérémonie, lui enlève toute sa symbolique et tout son faste. De mon humble point de vue, ce terme négatif devrait plutôt disparaitre de notre vocabulaire cultuel, au profit des deux termes adéquats que sont : « N’nong » et « N’guia’a » qui tous deux, connotent l’idée de soin et de respect. Alors que « N’gwah » constitue non seulement, une hérésie, une offense, mais aussi un flagrant manque de respect à l’égard de nos ancêtres, voire une menace aux fondements sémio-anthropologiques de notre culture !!!
Mô’ô Temoyim, Tsombeng Jean, I.A.E.B émérite, 3eme chef de la famille Temoyim Ma’a, à Lefè-Djeuyim
REFERENCES
1-Dieudonné watio. Le culte des ancêtres chez les Ngyemba (Ouest-Cameroun) et ses incidences pastorales .1984. P. 49. 50. 51. 62.63.
2- Michel. MESLIN : vers une théologie africaine, in les Quatre fleuves no 10 (1980) pp.117-131
3- Abbé Akoh Ambé Benjamin, funérailles et pratiques des sacrifices dans les traditions Bamiléké, comment inculturer les funérailles et le culte des cranes ?P.86-87.
Patriarches et matriarche consultés :
1-Mo’o Djeuh Megnah, chef du quartier Megnah, Bafou.
2-Mo’o Teimbia Martin, chef de famille et fervent chrétien catholique, quartier Lepia, (100m du carrefour Saint Laurent de Bafou)
3- Ma’a Meigni Nangue Madeleine, centenaire depuis le 14/11/2020, quartier Lefè Tsuete Tsopgang.
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