LES PLEURS AVEC LES LARMES (LAMENTATIONS) CHEZ LES BAFOU. POURQUOI ? ET COMMENT ? PARTIE 3
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- Publié le mardi 25 mai 2021 17:10
- Écrit par Mô’ô Temoyim Tsombeng Jean, chef de la famille Temoyim Ma’a, à Lefè Djeuyim - Bafou, I.A.E.B émérite
LES PLEURS AVEC LES LARMES (LAMENTATIONS) CHEZ LES BAFOU. POURQUOI ? ET COMMENT ? PARTIE 2
III. APRES LES OBSEQUES
III.1 : « Accompagnement » du deuil chez le père de la personne décédée.
A un autre jour convenu et arrêté, tout le monde se retrouve au domicile ou mieux dans la concession du père géniteur du défunt ou de la défunte pour accompagner le deuil «Ntsa’ak-ne Leweukh», et pourannoncer aux ancêtres et aux divinités, par un imposant tour de deuil avec les pleurs, que leur enfant n’est plus. A cette occasion, le successeur ou la successeuse du défunt ou de la défunte, est présenté au grand-père, ainsi qu’au reste de la famille, et ils le reconnaîtront désormais comme leur fille ou leur fils disparu.
A la fin de ce tour de deuil, la délégation visiteuse est installée à l’entrée de la concession. Les hommes du côté droit et les femmes du côté opposé. Pour la circonstance, ils apportent : , une chèvre, un coq ou une poule, selon qu’il s’agit des obsèques d’un chef, d’un notable ou de tout autre défunt, de l’huile de palme (5 à 10 litres, voire une tine), un sac de sel, un plat de « condrè », du maïs cuit en grains avec des arachides (« nguessang-meneuk »), ainsi que d’autres mets et de la boisson : bières, vin de raphia, vin rouge, etc. Pour clôturer cette cérémonie, on procède à la sortie du successeur de la case de son grand-père avec la danse des veuves « fvouk », et le « kezah », danse de victoire chez les Bafou. La sortie du successeur d’une femme se fait plutôt à partir de la case de sa grand-mère, avec la dance « n’sih ». Tous sont ainsi présentés officiellement aux ancêtres, aux divinités de la concession, et à toute la famille de leurs grands-parents.
III.2 : Culture du « leffett » (ndjieuh lefett)
Un autre jour arrêté par la famille, on procède à la culture du « lefett »et à la distribution aux membres de la famille des objets à usage personnel ayant appartenu au défunt (vaisselle, habits, chaussures, etc.), en guise de souvenirs, «nssang n’guia mfwouh ». Les tètes des orphelins et celles des proches sont rasées. La machette du défunt et un de ses habits sont remis à son « teikap » s’il est présent, ou lui sont transmis plus tard.
Le rite appelé «leffett», consiste à former un billon dans le champ du défunt ou sur une parcelle cultivée par une défunte. Dans le cas d’un défunt, on y plante un rejeton de bananier plantain auprès duquel on dépose, soit un tabouret à trois pieds, « ako’ô », un tabouret haut en bambous serrés «meipo’oh», soit à défaut une chaise, une assiette plate, une soupière, et un de ses habits. Dans le cas d’une défunte, on plante plutôt un rejeton de bananier auprès duquel on dépose un tabouret de cuisine en bambou ou en bois, et un de ses habits. Dans les deux cas, les orphelins et les proches du défunt ou de la défunte doivent passer chacun à son tour, pour exécuter de manière symbolique, des activités culturales telles que défricher, labourer, sarcler. Ensuite ils sèment sur le billon formé, différentes denrées alimentaires : graines diverses, boutures, tubercules, etc. que le défunt ou la défunte cultivait pour eux, taches qui leurs incombe désormais, sous peine de mourir de faim.
Ceci explique pourquoi ils le font en pleurant, en implorant les ancêtres pour qu’ils obtiennent en leur faveur, auprès de Dieu, des récoltes abondantes chaque fois qu’ils auront planté, semer, ou entrepris quelque chose. Il est important de faire observer que la formation de ce billon sur lequel on sème ou plante toutes sortes de denrées se justifie par le fait que les bamiléké sont avant tout un peuple de cultivateurs. Mais dans le contexte moderne actuel, cette symbolique se comprend comme un vœu de succès et de prospérité pour tout ce que les orphelins pourront être amenés à entreprendre. C’est pourquoi lorsque pour une raison ou pour une autre, certains orphelins sont absents au moment de ce rite, leurs frères et sœurs présents se chargent de l’exécuter pour chacun d’eux en prononçant plusieurs fois son nom.
La culture du « leffett » marque la fin des cérémonies liées au deuil avec les pleurs. Et selon la tradition à Bafou, il reste à exhumer et déposer dans la case sacrée familiale, dans un délai d’un an en moyenne, le crâne du défunt ou de la défunte « mba’a touoh mvffwouh », à organiser une fête pour célébrer ce retour au sanctuaire familial «ndjieuh touoh mvfwouh». Enfin des funérailles seront organisées à plus ou moins long terme, pour fêter l’entrée triomphale du défunt dans le monde des ancêtres !
III.3. Une séance de culture de leffett « n’djieuh leffett » (09 novembre 2020 à Bafou)
CONCLUSION
Au terme de notre analyse, il apparaît clairement que pleurer et enterrer un parent ou un proche est un devoir moral pour les vivants. Cependant chaque société et chaque peuple s’acquitte de ce devoir selon ses traditions, selon sa conception de l’au-delà, et selon ses rapports avec le monde invisible des ancêtres et des divinités. Comme nous pouvons le constater, La pratique des rites funéraires à Bafou, est tributaire de toutes les croyances endogènes de ce peuple, révélatrice de ses spécificités et de son identité. Le rejet, l’ignorance, les attitudes d’hostilité à l’égard de ces rites et de ces pratiques coutumières par les jeunes, sous l’influence des civilisations et des religions importées constituent de graves entraves à la pérennisation et à la valorisation de nos traditions ancestrales, bref de véritables freins à l’enracinement de notre culture! Il est temps que la jeunesse d’Afrique, la jeunesse bamiléké et la jeunesse Bafou en particulier, se ressaisissent, changent d’attitude, apprennent ou réapprennent leurs us et coutumes.
Par ailleurs, il est urgent que les générations adultes d’aujourd’hui se mettent en devoir de développer des stratégies nouvelles, la transmission orales de la culture à travers nos langues, et à l’occasion des événements sociaux ou familiaux ayant montré toutes ses limites. Il faut inventer des moyens idoines pour valoriser et transmettre les vestiges de notre patrimoine culturel qui ont survécu à la prédation des colons et à l’invasion des religions étrangères. Ces vestiges aujourd’hui en voie de disparition, demandent bien entendu, à être adaptés au contexte moderne actuel, sans toutefois perdre de vue qu’il s’agit de faire un recours, et non un retour aux traditions comme à l’époque de nos ancêtres!
En outre, disons-nous bien qu’un vieillard n’est pas toujours celui qui a un âge avancé, mais plutôt celui qui connaît, celui qui a acquis de l’expérience et des compétences pour édifier la jeunesse. En effet, il n’est pas rare de rencontrer dans nos communautés, des vieillards de vingt ans, et des jeunes de soixante-dix ans ! Aussi nous accordons-nous avec Hamadou Hampâté Bâ pour marteler que : « les idées qui ne sont que dans la tête des vieillards sont des idées mortes si elles ne sont pas semer dans la tête des jeunes » ! Nous pouvons et nous devons le faire car, si ces jeunes ont besoin de nous aujourd’hui pour être informés, formés et conseillés, c’est nous qui aurons bientôt besoin d’eux !
REFERENCES
ARTICLES CONSULTES
- Marie-Claude Roy, Psychothérapeute, Montréal, Quebec, Canada, Vivre un deuil,
www.pshycho-ressource.com>bi 15/12/2020.
- Cynthia Mauro, Daniel Beaune, Michel Debout, Daniel Malicier, Au-delà de la mort, la survivance du corps, dans Etude sur la Mort 2006/1 (n°129) Page 99/ 108.
MATRIARCHE COSULTEE
- Maman NGANGNI Cécile, née vers 1919, centenaire au quartier Lefè-Djeuyim à Bafou.
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