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Préjugés en matière de préservation de notre culture
- Détails
- Publié le dimanche 15 juin 2014 13:26
Contribution présentée à l’occasion du 5e anniversaire de Bafou.org
Par Atsiapouo Laurent Azambou
« Whenever I hear the word Culture, I release the safety catch of my pistol »
Ces mots sont attribués au tristement célèbre Herman Goering, et donnent une idée simple de ce que peut être la culture, c’est-à-dire exactement ce qui distingue un groupe humain particulier d’un autre et qui est donc susceptible de les séparer au point de susciter chez le Nazi Goering la réaction de tirer le cran de sécurité de son pistolet chaque fois qu’on l’évoque auprès de lui.
Au-delà de l’anecdote et de l’idée qu’elle nous permet d’avoir de la culture, la question qui se pose dans cette partie de notre échange est celle des préjugés qui peuvent exister ou que l’on peut développer en ce qui concerne l’idée de préservation de notre patrimoine culturel.
Un préjugé est une croyance, une opinion préconçue souvent imposée par le milieu, l'époque, l'éducation ; c’est un parti pris, une idée toute faite. Vus sous cet angle, les préjugés peuvent être favorables ou défavorables. Notre propos sera ainsi structuré en deux volets (favorables et défavorables), chacun organisé selon le milieu, l’époque et l’éducation.
- 1.Les préjugés favorables à la préservation de notre culture
1.1. Selon le milieu
Comme on peut s’y attendre, ce type de préjugé est entretenu la plupart du temps par les membres-mêmes de notre communauté culturelle à travers un sentiment chauvin qui en réalité, ne leur est pas spécifique ; tous les membres d’une communauté culturelle ont tendance à considérer leur culture comme « la culture » et non pas comme « une culture ». Ce sentiment est en plus indépendant du milieu où l’on se trouve ; c’est ainsi que même hors de leur aire culturelle géographique (migrants des zones urbaines, membres de la diaspora), les membres d’une communauté entretiennent une tendance presque maladive à reproduire et à perpétuer tout ce qui les a conditionnés pour les faire ce qu’ils sont. Toute forme d’action (danses), toute croyance (fèè’h), toute institution (aloung’) faisant partie de leur univers culturel d’origine a un sens.
1.2. Selon l’époque
Avant et immédiatement après les indépendances, l’avancée technologique (culture matérielle) du colonisateur a fait développer certains complexes culturels chez les peuples colonisés ; avec l’avènement du village planétaire de ces dernières années, le monde s’est ouvert, révélant tous ses recoins, et c’est alors que la plupart des habitants de la planète (dont nous-mêmes) qui étaient tombés dans le piège d’une culture centrale et de cultures périphériques se sont rendu à l’évidence : les cultures ne s’évaluent pas nécessairement à travers des comparaisons verticales ; chacune a ses repères d’évaluation intrinsèques. Si donc les époques précédentes ont vu beaucoup de préjugés défavorables se développer par rapport à nos cultures pour les raisons que nous connaissons tous maintenant, l’époque actuelle tend à revaloriser, à revitaliser et à promouvoir nos us et coutumes afin de les « vendre » à ce marché de la mondialisation d’où nous avons failli être absents du fait des erreurs de perception passées.
1.3. Selon l’éducation
Dans la plupart des cas, moins on est éduqué à la mode occidentale, plus favorables sont nos préjugés à l’égard de l’éducation traditionnelle africaine ; voyons par exemple le dédain avec lequel les ténors d’une classe d’âge Mandzong considèrent leurs congénères qui ne sont pas intégrés dans leurs activités ou qui ne sont pas « en règle » par rapport à celles-ci. Cette attitude trahit une tendance à un préjugé plutôt favorable qu’ils entretiennent à l’égard des Mandzong de classes d’âge. Il est vrai que d’après Ralph Linton, « jamais un individu ne participe à tous les éléments culturels dont l’ensemble forme la culture du groupe », mais il semble que l’éducation occidentale ait contribué à scinder les membres de notre communauté en deux et que ce soit ceux qui ont peu flirté avec cette éducation qui aient des préjugés plus favorables à l’égard de nombreux aspects de nos pratiques culturelles.
- 2.Les préjugés défavorables à l’égard de notre culture
2.1. Selon le milieu
Les migrants des zones urbaines et les membres de la diaspora sont parmi les membres de notre communauté culturelle que leur milieu de vie a le plus conditionné à entretenir des préjugés défavorables à l’égard de la culture dont ils sont issus. Les germes d’une telle attitude ont été semés par le colonisateur dont les avancées technologiques (culture explicite) ont subjugué les peuples colonisés ; le prolongement de ces artefacts technologiques se retrouvant dans les milieux urbains ou de la diaspora, l’illusion que ces avancées technologiques ne pouvaient qu’être en congruence avec des avancées similaires au niveau moral et religieux (culture implicite) par exemple, a fait naitre des idées toutes faites à l’égard des cultures qui n’étaient pas (encore) porteuses d’une technologie matérielle aussi voyante. Ainsi, un préjugé bien ancré voudrait que les « citadins » ne fassent ni ne se soumettent à certaines pratiques rituelles (le « Nsi » par exemple) au prétexte qu’ils n’en comprennent ni les tenants, ni les aboutissants. Qu’ils ne se soumettent pas à certaines pratiques cultuelles religieuses traditionnelles impliquant la reconnaissance d’une possibilité d’intercession pour nous auprès de Dieu, de nos ancêtres qui nous ont précédés dans l’au-delà. La plupart des nouvelles religions qu’ils embrassent sont pourtant basées sur le principe de l’intercession. Allez y comprendre quelque chose.
Toujours par rapport aux préjugés défavorables à la préservation de notre culture selon le milieu, il faut ajouter que le milieu urbain étant caractérisé par un mode de vie centré sur d’intenses activités économiques, une idée généralement répandue est que les efforts de préservation de notre culture coûtent cher ; allez savoir par rapport à quoi. « If you think education is expensive, try illiteracy », dit-on en anglais. De façon similaire, si nous pensons que la préservation de ce que nous avons de plus cher nous coûte justement cher, essayons l’inverse. Dans le premier cas (celui de l’analphabétisme), les résultats se manifestent assez vite pour que nous puissions en vivre les effets pervers. Dans le second (celui du sacrifice de notre culture), seules les générations futures devront nous juger ; sévèrement peut-être, mais nous ne serons plus là pour en subir la honte.
2.2. Selon l’époque
Dans toutes les sociétés humaines, le passage d’une génération à la suivante s’effectue à travers des secousses culturelles qui sont justement caractéristiques du passage de témoin qui a ainsi lieu. Que chaque époque voie une coloration nouvelle venir teinter une culture que l’on croyait établie et « immuable », rien de plus normal. D’ailleurs, même des individus formatés au même moule culturel de la même époque présentent bien des variantes liées à chaque personnalité. Il existe cependant un ensemble de traits qui apparaissent (ou disparaissent) d’une époque à l’autre et que l’on ne peut associer qu’à des préjugés développés par toute une génération.
Considérons un exemple : certaines filles croient devoir amener leurs fiancés à se soustraire à la façon dont on se marie dans leur culture, lorsque ce ne sont pas ces derniers qui en prennent la décision, j’allais dire le risque. Certains jeunes adultes croient aussi devoir faire abstraction dans leur vie de certains rites dont par exemple celui qui consiste à « s’asseoir sur une chaise » chez son père, ses grands-parents et chez le « Teinkap » du côté maternel, rite qui est en réalité l’équivalent culturel de la cérémonie à plusieurs volets de « dot » qui concerne la jeune fille qui s’apprête à aller en mariage.
Un autre préjugé défavorable à la préservation de notre culture dérive de la confusion que certains lui trouveraient entre le culturel et le cultuel. Par exemple, en cette ère de nouvelles églises, conduire une cérémonie traditionnelle qui relève du culturel et la conclure par un tour de « bénédiction » au caveau familial (lieu qui abrite les crânes de nos ancêtres notamment), lui donnant ainsi un prolongement cultuel, est une démarche qui selon de nombreux convertis des nouvelles églises, relève du sacrilège. Et pour ne pas y souscrire, il vaut mieux sacrifier les aspects culturels pour ne pas risquer d’y mêler ces aspects cultuels et créer ainsi une confusion que leurs nouveaux maîtres spirituels pourraient leur faire payer cher. Vous avez dit jeter le bébé avec l’eau du bain ?
2.3. Selon l’éducation
Il est communément admis que chaque fois que deux peuples entrent en contact, le but secret de chacun est d’éliminer physiquement l’autre, de le soumettre (y compris par l’esclavage) ou de l’assimiler. Et pour arriver à ces fins, chaque groupe humain est prêt à déployer tous les moyens ; et le plus sûr est souvent une lente conversion de bons nombre d’éléments de la culture adverse aux valeurs de la nôtre, et ensuite la transformation de ces nouveaux convertis en fossoyeurs de leur propre « ancienne » culture. La tactique a si bien fonctionné en Afrique, dans l’Afrique encore fermée à tout élément de comparaison, que beaucoup d’Africains sont devenus des « blancs » à la peau noire (et encore !). La ruée vers les nouvelles « valeurs » a été si rude que presque tous ont laissé jusqu’à leur âme d’Africain sur le chemin de la bousculade.
Une fois arrivés aux cimes de la nouveauté, une fois tous ses secrets éventés, ils ont compris (un peu tard ?) que les fondements de la « nouveauté » se trouvaient en réalité en Afrique. Que tout est parti d’Egypte par exemple, c’est-à-dire de chez eux ! Les mathématiques, l’astronomie, les dieux etc. Tout !
Avec l’ouverture de l’Afrique au monde en cette époque de village planétaire, ils ont aussi réalisé que personne d’autre sur la planète parmi ceux que l’histoire avait soumis au même sort (colonial par exemple) qu’eux, n’avait rien laissé en arrière de culturellement fondamental. Et que cela leur avait été hautement bénéfique. La question de cette époque que nous vivons devient : de défavorable, que va devenir le préjugé qui était fondé sur l’éducation ? Dans l’aventure humaine nécessairement plurielle, quelle place nous sommes-nous donné à nous-mêmes en tant que groupe culturel plus ou moins homogène ? Quelle différence positive apporterons-nous à la construction de la pyramide universelle ?
Conclusion
Nous avons essayé autant que possible, de faire tenir notre contribution dans le temps qui nous a été imparti. Les pistes ouvertes appellent nécessairement de plus profonds échanges qui auront lieu, je l’espère, sur notre tribune habituelle Bafou.org. afin que vive Bafou et sa culture, même modernisée.
En définitive, il apparaît que les préjugés en faveur de la préservation de notre culture pèsent moins lourd que ceux qui vont dans l’autre sens. L’eurocentrisme tout puissant est passé par là avec son arsenal lourd. Mais l’époque de l’arriération entretenue des peuples « périphériques » est bel et bien passée ; ces peuples se sont réveillés de leur « sommeil ». Même si aucune culture au monde ne peut plus se prévaloir de quelque pureté illusoire, il reste que l’équilibre social de chaque être humain passe par la conscience inébranlable de son appartenance culturelle à un groupe, et ce seul sentiment contribue à lui assurer une personnalité et un équilibre psychologique, et même psychique.
De ce point de vue, les cultures humaines, y compris la nôtre, se dilueront au contact des autres, s’adapteront au temps qui passe et aux choses qui changent, mais ses fondements, ceux-là mêmes qui font que nous soyons si particuliers, si différents et en même temps si semblables aux autres hommes, resteront et continueront de faire de nous, nous-mêmes.
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